Vive l’Allemagne – d’Alain Minc

Vive l’Allemagne – d’Alain Minc

Grasset 2013

Comme tous les livres d’Alain Minc, celui-ci est d’une parfaite lisibilité. Quoiqu’on pense de l’auteur, l’essayiste force l’admiration par sa limpidité. En un court avant-propos, le plan est décliné et il sera suivi dans une logique implacable autant qu’impeccable.

Les trois premiers chapitres cernent l’histoire passée et récente de l’Allemagne :

 Ch 1 Peuple-nation et non Etat-nation :  petit cours d’histoire qui nous fait remonter à 843 et au traité de Verdun, passer par le Saint Empire Romain Germanique supprimé par Napoléon en 1806,  comprendre  avec le Discours à la nation allemande de Fichte comment, en opposition à la conception française de la nation-contrat, se développe l’idée d’une nation-force vitale (Volksgeist), signaler la première union douanière de 1833 avec le Zollverein pour aboutir à la constitution du Reich avec Bismarck.

Ch 2  Il n’y avait pas de fatalité nazie, en 6 raisons explicatives du contexte allemand du début des années 30 :

  1. Le refus de la défaite de 1918 et le rejet du traité de Versailles
  2. L’édification artificielle du parlementarisme allemand
  3. Les ravages de la grande inflation
  4. Le choc de la grande crise
  5. La force d’un parti communiste soumis au volt- face  de Staline
  6. L’existence d’un terreau réactionnaire

Ch 3 Les ingrédients du miracle : Le fédéralisme inscrit la RFA ans la tradition historique d’un émiettement du pouvoir (p50 puis 52)

Les 4 chapitres suivants ciblent  les réussites :

 Ch 4 Le pays le plus démocratique d’Europe car équilibré dans tous les domaines par des contre-pouvoirs

  • Sur le plan politique : les pouvoirs et contre-pouvoirs limitent la puissance du chancelier allemand (au regard des pouvoirs du président français) : la toute-puissance du Bundestag,  l’importance du Bundesrat, le poids des Ministres-présidents des länder, la tutelle de la Cour de Karlsruhe.
  • Sur le plan économique : depuis 1951 existe la co-gestion paritaire, dite Mitbestimmung ; le patron des sociétés allemandes est davantage un primus inter parès qu’un PDG à la française ;  approche par le consensus dans les négociations avec les syndicats, ; la diversité des structures actionnariales ; (p63) « l’économie sociale de marché est à l’économie ce qu’est le fédéralisme à la politique : le substrat d’un système équilibré dans lequel les dérapages sont proscrits. » ; le tissu d’entreprises moyennes ( le Mittelstand)
  • Dans la société civile :  avec le poids des églises ; les institutions areligieuses ; la force des Verts qui s’appuie sur le culte de la Nature, lequel appartient à l’histoire allemande ( p67) ; le rôle des médias, véritable 4ème pouvoir, indépendants des mondes politiques et économiques

P71 un modèle codé, lent, prévisible, démocratique, même si, sans doute, un peu ennuyeux.

Ch 5 : 17 millions de pieds-noirs, autrement dit la réussite de la réunification

Ceci s’est fait via l’accord des Alliés, la parité d’échange Mark-ouest/Mark est (décision politique), le processus juridique par la simple mise en vigueur de la Loi fondamentale dans les autres parties de l’Allemagne, le choix enfin de Berlin comme capitale, même si les difficultés ont été nombreuses, aboutissant à ce que The Economist titre en 2002 sur «  L’Allemagne, l’homme malade de l’Europe ».

Ch 6 Une Allemagne européenne et non une Europe allemande

Le deal a été l’euro contre la réunification, le tout scellé dans le traité de Maastricht. L’Euro a été la « ceinture de sécurité » pour l’ancrage à l’ouest de la nouvelle RFA (p89). A Minc explique ensuite qu’on fait un mauvais procès à l’Allemagne, qui n’a aucun intérêt à l’explosion de l’euro. Il explique ensuite (p97) que le peu d’enthousiasme allemand pour la mise en place de l’Union bancaire tient en réalité à la mauvaise situation des caisses d’épargne allemandes ( les Sparkasse). Mais l’Allemagne a été fidèle à la ligne choisie par Helmut Kohl : une Allemagne européenne pour éviter les dangers d’une Europe allemande.

CH 7 Un mercantilisme efficace

Le modèle économique allemand de l’économie sociale de marché ( Ludwig Erhardt) s’appuie sur :

  • Des grandes entreprises à vocation mondiale
  • Des entreprises familiales de taille moyenne tournées vers l’exportation
  • Une spécialisation sur des créneaux haut de gamme peu sensibles à l’effet prix
  • Une culture de recherche-développement
  • Un consensus social
  • Un Etat favorable aux entreprises

Avec deux spécificités :

  • Les entreprises sont l’instrument de la prospérité (Louis Gallois indiquait lors d’une conférence que les allemands mettaient désormais leur orgueil national, non plus dans leur  pays ( passé oblige) mais dans leurs entreprises).
  • L’économie échappe à l’influence de la Finance. A Minc souligne (p 105) que c’est l’inverse du modèle britannique

Pour faire face au choc qu’a représenté la réunification et à la perte de compétitivité qui en a découlé, le Chancelier Gerhardt Schröder a lancé l’Agenda 2010 :

  • Réforme du marché du travail avec les lois Hartz (obligation pour les chômeurs d’accepter une offre d’emploi, minijobs à 400€/mois, limite à un an des allocations chômage pour les travailleurs âgés, fusion des allocations chômage et des aides sociales)
  • Réforme des retraites (augmentation des cotisations et âge légal repoussé à 67 ans)
  • Suivi d’une baisse de l’impôt sur les revenus

Les trois derniers chapitres s’interrogent sur les limites du système allemand et le rôle de l’Allemagne dans l’Europe :

Ch 8 De l’apogée à l’inexorable déclin

Une ombre ( p 115)dans le bilan des réussites : la  faiblesse patrimoniale (la ½ de celle de la France)

Mais les raisons d’inquiétude sont réelles :

  • La démographie. Dans 30 ans, la France aura gagné 10M d’hbs tandis que l’Allemagne en aura perdu 10. (avec un taux de fécondité des immigrés qui baisse dès la deuxième génération)
  • L’absurde politique énergétique (p121 et s)
  • La spécialisation industrielle qui ne sera pas éternelle
  • La fin de la décennie d’austérité salariale

Ch 9 Grosse Suisse ou vraie puissance ? et Ch 10 Et les autres ?

La diplomatie allemande est celle d’un pays qui joue d’abord sur ses exportations et donc agit en deçà de ses capacités (alors que France et Royaume–Uni, anciennes puissances coloniales, essaient de jouer au-dessus de leur niveau).

  • La France, plus que tout autre pays, aurait tout intérêt à ce que l’Allemagne s’assume et accepte les droits et devoirs de la puissance ( p140 puis 148 et suiv). L’ascension économique de l’Allemagne remet en cause l’équilibre traditionnel entre France et Allemagne. Or l’Allemagne tergiverse et temporise (en cela, A Minc rejoint les critiques d’Ulrich Beck dans Non à l’Europe allemande). A Minc suggère que la France aide l’Allemagne à  (p153) sortir de ses ambiguïtés en :
  • Lui proposant un plan commun d’Union politique de la zone Euro
  • D’accepter de jouer la carte parlementaire
  • Acceptant l’expérience fédérale

Commentaire : Il y a 30 ans, A Minc vantait le modèle italien. Il y a peu, il conseillait le président Sarkozy. Ceci dit, cette vision d’ensemble reste intéressante. Comme il l’indique (p137) ce sont les allemands qui, à deux reprises dans les 20 dernières années, ont lancé des propositions à la France (via le rapport Schäuble-Lamers, puis par Joschka Fischer), laquelle n’y a jamais répondu. Il serait effectivement temps que France et Allemagne se décident enfin à construire l’Europe politique. Mais peut-on attendre d’elles ce saut si les citoyens ne leur mettent pas la pression. Ce sera, là encore, l’enjeu des élections de mai 2014.

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Patrice Obert

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