L’Europe au divan – fiche sur une conférence de Julia Kristeva

L’Europe au divan – fiche sur une conférence de Julia Kristeva

interrogée par Olivier Guez, le 24 septembre 2013

L’Europe a une identité paradoxale, unique au monde.

L’identité, en soi, est une expérience nécessaire, un anti-dépresseur. Mais elle est source de violence quand elle devient un culte.

Or l’identité de l’Europe est une mise en question. Certes, l’Europe a connu des périodes de crise identitaire : inquisition, croisades, colonialisme, shoah. Mais ça ne remet pas en cause cette capacité de s’interroger et d’interroger.

Ceci lui vient :

  • Du judaïsme : « je suis celui qui est, qui était et sera » + une tradition de la question : Ecoute et questionne
  • De la Grèce : cf les dialogues platoniciens
  • Du christianisme : St Thomas d’Aquin « je suis devenu question à moi-même », la prière ;
  • De la greffe musulmane. L’islam comme intermédiaire + les grands mystiques

Mais  on le retrouve aussi dans :

  • Le Moi de Montaigne qui se compose de « lopins »
  • L’esprit corrosif de Faust
  • le grand point d’interrogation de Nietzsche

L’Europe est le lieu de l’interrogation des croyances. Elle a, ce faisant, une capacité – rare, voire unique –  de s’ouvrir à soi et aux autres.

Maître Eckart : « je demande à Dieu de me laisser libre de Dieu »

L’Europe est un humanisme, comme permanence de se poser des questions.

Question : comment en est-on arrivé à la situation actuelle ?

« Nous, les athées, au XVIIIème siècle, nous nous sommes opposés à la Religion en dressant face à elle un dogme politique ». La loi et l’économie allaient être les accès au salut. On a oublié que l’être humain n’est pas un robot, qu’il a une part  de psychisme, de spiritualité. Si les religions sont des abus, elles ont aussi des bénéfices. Car la psychanalyse nous apprend qu’on a « besoin de croire ». Quand ce besoin n’est pas satisfait, on ne peut pas développer le « désir de savoir », on s’accommode du premier fanatisme qui passe. Aujourd’hui, on parle d’adolescents déconstruits (No éducation, No employ, No training »).

Au moment des Lumières, il y a eu divorce entre le discours politique et le discours religieux. En dissociant ces espaces, on a laissé vacant l’espace de l’éthique. Dans ce vide s’engouffrent les identités nationales et les identités religieuses.

Le politique  s’est rétrécie et n’a plus de cap. Or, le cap, c’est donné par le spirituel.

Question : pourquoi n’a-t-on pas  mis la culture dans le traité de Rome de 1957 ?

Pour deux raisons : la première, c’est que, à l’époque, la culture européenne était implicite, c’était pas la peine de la citer. La seconde, c’est qu’on avait commis beaucoup de crimes qui faisaient honte. Il est donc nécessaire  de revenir sur ce passé (retour rétrospectif) pour en comprendre les origines, comprendre les raisons des intégrismes. Comment ?  En donnant à chacun les clés pour connaître l’histoire des nations et l’histoire des religions, afin que chacun sache éclairer les impasses des dogmes nationalistes et religieux. Or ce travail n’a pas vraiment été fait, il reste à faire,  c’est un travail permanent, il sera long.

J Kristeva insiste sur la nécessité de l’enseignement de l’histoire et du fait religieux. Elle signale la création, à son initiative du Comité Montesquieu, qui rassemble des représentants de différentes confessions.

On pourra s’appuyer sur les jeunes qui ont bénéficié d’Erasmus, qui parlent plusieurs langues, qui portent en eux les sensibilités de plusieurs nations, qui sont des individus polyphoniques, kaléidoscopiques.

Question : comment agir ?

Il faut faire se rejoindre  culture et politique. L’Europe est consciente de son échec, mais aussi des moyens pour refaire la soudure. Un objectif est de faire de la culture (au sens spirituel) un atout européen.

 Il faut faire ce travail au niveau national d’abord. Ainsi, J Kristeva milite pour la création d’Académies européenne de la culture qui seraient des lieux où des thèmes transversaux seraient traités, ouverts aux jeunes, avec des initiations à la musique, aux arts.

Voyageant à travers le monde, elle rencontre un « désir d’Europe ». Elle cite plusieurs exemples, en Chine, en Amérique du sud, où ses interlocuteurs lui  disent qu’ils ont besoin de cette capacité européenne  à s’ouvrir aux autres et à soi-même.

Dans un certain sens, la spécificité européenne de demain, ce serait de « penser la globalisation dans sa diversité », ce qu’on pourrait reformuler selon moi en «  donner du sens à la mondialisation »

Répondant à une question sur  le dialogue entre monothéismes et les autres civilisations, elle indique :

Les monothéismes ont dit des choses très justes sur la construction psychique de l’être parlant. Chez les indo-européens, il y a corrélation entre l’UN, l’Homme et la puissance du Pouvoir et c’est en lien avec une civilisation patriarcale. Mais les monothéismes portent en eux l’abus du pouvoir, l’exclusion de l’autre, l’abus du faible, la marginalisation de l’étranger (c’est elle qui le dit).

Dans nos pays, il y a contestation de la paternité, voire déconstruction du rôle du Père. Quelle sera l’évolution de la notion d’Autorité ? Quel sera l’individu si l‘autorité est abolie ? Une autorité peut-elle être plurielle ? Ou faut-il réfléchir au féminin dans le Père ?

Vis-à-vis  de la chine, il y a un grand fossé Mais sans doute, face à une pensée « adaptable mais insaisissable », l’Europe est-elle plus à même que la Chine de penser la singularité chinoise.

Question : comment donner une chair à l‘Europe ? Quel sexe a l’Europe ?

« Nulle part ailleurs, il n’y a eu la reconnaissance – certes difficile, mon dieu – des femmes ».  

  • Rôle des déesses dans la mythologie
  • Rôle des reines dans la Bible
  • Rôle du monachisme dans l’origine de la jouissance féminine (elle raconte qu’elle a vécu 10 ans à lire Sainte Thérèse d’Avila et qu’on ne peut pas comprendre les Lumières sans le Baroque) cf la sculpture du Bernin (PO)
  • Le développement du mouvement féminisme. Même si elle évoque ses interrogations actuelles sur  l’érotisme maternel, la transmission de la culture par les mères…. L’humanisme est un féminisme, dit-elle

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Patrice Obert

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