La troisième révolution industrielle – de Jérémy Rifkin

La troisième révolution industrielle – de Jérémy Rifkin

(édition Babel) 2011

« Les régimes  énergétiques déterminent la nature des civilisations – leur façon de s’organiser, de répartir les fruits de l’activité économique et des échanges, d’exercer le pouvoir politique et de structurer les relations sociales. Au XXIème siècle, le contrôle sur la production et la distribution de l’énergie va passer  des compagnies centralisées géantes  fondées sur l’énergie fossile à des millions de petits producteurs, qui vont collecter leur propre énergie renouvelable sur leur lieu d’habitation et échanger leurs excédents dans des communaux info-énergétiques. La démocratisation de l’énergie aura un impact profond sur l’orchestration de l’ensemble de la vie humaine dans le siècle qui vient. Nous entrons dans l’ère du capitalisme distribué »(p 155)

Tel  est l’enjeu de ce livre qui se présente d’abord comme un livre d’économie mais dont l’ambition est  bien plus grande puisqu’il vise à redéfinir « l’ensemble de la vie humaine » et qu’il se termine (p 334 et s) sur  l’évocation du passage de l’homo sapiens à l’homo empathicus et l’avénement d’une « conscience biosphérique ». L’humain de demain sera un « moi écologique, élargi, imprégné de conscience biosphérique (p343). Notre mission (p382) est de « faire passer le monde à une économie de  troisième révolution industrielle et à une ère post-carbonée ».

L’essentiel du propos reste une réflexion sur les rapports entre l’énergie et  l’organisation économique du monde assortie de très nombreux exemples selon une présentation très américaine dans laquelle l’auteur se met en scène, raconte ses rencontres avec les grands de ce monde et livre ses intuitions avec un mélange désarmant de simplicité, d’humilité et d’autosatisfaction.

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 Le fil directeur est exposé p 55. « il faut d’abord comprendre que les grandes transformations économiques de l’histoire se produisent quand une nouvelle technologie des communications converge avec un nouveau système énergétique. L’infrastructure émergente anéantit le temps et rétrécit l’espace : elle crée ainsi ente les personnes et les marchés des liens économiques plus diversifiés. ». La clé est donc cette « matrice communications-énergie ».

Le chapitre 2 intitulé « un nouveau récit » dit l’essentiel, d’une part la relecture du passé, d’autre part les  5 piliers de cette troisième révolution industrielle (3RI). Le lecteur pressé pourra ne lire que ces 50 pages, de la page 53 à la page 109.

Le passé :

  • La vapeur dans l’imprimerie provoque la 1ère RI. Il en est découlé un peu plus tard une économie du rail et de l’usine alimentée par le charbon et propulsée par la vapeur.
  • La 2ème RI tient à la conjonction entre la communication électrique et le moteur à combustion d’où ont découlé la radio et la télévision,  couplées avec l’âge du pétrole et l’automobile.
  • La 3RI vient de la conjonction entre internet et les énergies renouvelables. Chacun va produire sa propre énergie verte et la partager sur des réseaux intelligents d’électricité distribuée, exactement comme il crée sa propre information et la partage sur internet (p 57)

 Commentaires : L’intuition est très intéressante même si l’analyse historique reste légère. Rien n’est dit sur ce que certains nomment la 1ére révolution industrielle, celle des XIIè/XIIIè siècles. On pourrait sans doute filer la métaphore en évoquant l’utilisation intelligente de la force musculaire du cheval et du bœuf en Europe (alors que les autres continents continuaient de n’utiliser que la force humaine) couplée avec l’amélioration des outils agricoles, ceci permettant une augmentation importante des rendements, une population plus riche, mieux nourrie, mieux formée (début des universités) débouchant sur de nouveaux outils de navigation et donc d’exploration des terres et des mers.  Par ailleurs, englober la Renaissance avec l’imprimerie dans le même volet que le XVIIIè siècle et l’utilisation du charbon et du pétrole  paraît excessif. Mais, au-delà des discussions possibles sur   une lecture différentes des paliers, l’analyse liant sources d’énergie et  système de communication est riche.

Jérémy Rifkin aborde ensuite les 5 piliers de ce passage d’une société de la 2RI, marquée par l’électricité et les énergies fossiles, société verticale traditionnelle reposant sur de grands ensembles capables de rassembler les financements nécessaires, à une société verte caractérisée par des relations distribuées, latérales et coopératives. Sa conviction est que ces 5 piliers (enjeux) doivent impérativement être mis en œuvre parallèlement.

Pilier N°1 : le  passage aux 20% d’énergies renouvelables, choix de l’énergie verte : Solaire, éolien, hydroélectricité, géothermie, biomasse

Pilier N°2 : la transformation du parc immobilier en ensemble de micro-centrales énergétiques qui collectent sur site des énergies renouvelables ou comment créer 190 millions de centrales électriques. La question est de savoir  comment collecter ces énergies renouvelables visées au  pilier N°1. La réponse tient à la prise de conscience que cette énergie est partout et qu’elle peut être collectée par les maisons, bureaux, centres commerciaux, parcs industriels et technologiques. J Rifkin plaide  pour l’émergence de millions de mini-producteurs énergétiques. Ceci casserait le monopole des grandes compagnies et multiplierait les emplois.

Pilier N°3 : le déploiement de la technologie de l’hydrogène et d’autres techniques de stockage dans chaque immeuble et dans les infrastructures. Parmi les différentes solutions de stockage existantes (batteries à flux continue, volants d’inertie,  condensateurs et pompages à eau (p75), J Rifkin privilégie l’hydrogène en raison de sa flexibilité.

Pilier N°4 : le partage de l’énergie par la technologie de l’internet. Il s’agit de créer un réseau intelligent de partage, véritable « colonne vertébrale  de la nouvelle économie » (p78). Là apparaît une alternative entre un réseau centralisé et un réseau distribué (p80), lequel a la préférence de l’auteur.

Pilier N°5 : le changement de la mobilité par le recours à  aux véhicules électriques branchables ou à pile à combustible, capables d’acheter et de vendre de l’électricité sur un réseau électrique interactif continentale et intelligent.

Cette 3RI « est indissociablement, la dernière phase de la grande saga industrielle et la première de l’ère coopérative émergente. C’est un interrègne entre deux périodes de l’histoire économique, la première caractérisée par le comportement industrieux et la seconde par le comportement coopératif » (p 365). Cette nouvelle période est et sera marquée  par l’impact de la technologie intelligente sur l’économie mondiale, par la fin du salariat de masse (p371) (à l’instar du servage auquel l’ère industrielle avait mis fin), par un passage du « vivre pour travailler » au   «vivre pour jouer » (p378), par une redécouverte de la biosphère (p 352 et s) et la réintroduction de la nature dans nos vies (p321 et p361).

 L’essentiel est dit. Le reste  est une illustration des contacts pris par J Rifkin et ses équipes pour  convaincre les dirigeants de la planète, en particulier ceux de l’Union Européenne (p 55 et 96 à 105). Sont ainsi présentés les sujets sur lesquels J Rifkin a travaillé à San Antonio (p126), à Monaco (p140), à Utrecht (p146).

J Rifkin insiste ensuite sur l’économie  coopérative (p155 et s). A l’ère du pétrole qui s’est caractérisée par le gigantisme et la centralisation va succéder une logique très décentralisée et en réseau (à l’image de Linux, wikipedia, Google ou facebook) (p166). Selon lui, le micro-crédit va se développer, s’appuyant sur  une générosité naturelle, qu’on peut rapprocher de la notion de bienveillance (p173) et de responsabilité collective (p 179). L’intérêt commun est la meilleure façon de contribuer au développement économique durable (p181) et non plus à la croissance illimitée (270).

J Rifkin consacre ensuite un long passage au rôle de l’Etat dans cette mutation  p 183 à 194). Selon lui, « la mise en place d’une nouvelle infrastructure de l’énergie et des communications a toujours été un effort commun de l’Etat et de l’industrie » (p185), l’Etat  investissant massivement pour construire l’infrastructure, établissant les codes, réglementations et norme, et instaurant des incitations fiscales et des subventions. «Seul un partenariat ouvert, transparent et global entre les entreprises, l’Etat et la société civile peut avoir la puissance nécessaire pour permettre la transition » (p187). Il illustre longuement le rôle que l’Etat fédéral a ainsi joué aux Etats-Unis.

Cette transition aura diverses incidences :

  • Sur la disparition du clivage gauche/droite qui laissera place à un nouveau clivage « centralisé et autoritaire/distribué et coopératif » (p199, 249)
  • Sur la disparition du machisme ( p 201)
  • Sur la notion de propriété.(p303 et s). La propriété va s’effilocher face à une information circulante qui contourne le copyright et les brevets. Elle privilégiait l’acquisition de droits matériels sur des marchés et le droit d’exclure les autres. Elle va céder devant le droit de jouir d’un accès aux réseaux et de partager des expériences
  • Sur la notion de profit qui reculera devant l’importance prise par le temps, nouvelle unité de compte majeure (p312). A partir du moment où la propriété s’estompe face au service, l’idée de durabilité devient indissociable de celle de profit, ce qui renverse nos conceptions de biens  conçus pour devenir très vite obsolètes (p313)
  • Sur la prééminence  d’un esprit de coopération et d’interdépendances lié à l’intendance collective de l’éco-système, en opposition à l’esprit de compétition et de concurrence lié à la vision social-darwiniste d’hier (p 268-269)
  • Sur  l’enseignement et l’éducation (p326 et s) et la formation de la main-d’œuvre du XXIème siècle
  • Sur l’évolution même  de la notion de bonheur. On passera de la recherche de l’intérêt matériel, de l’autonomie et de l’indépendance à la recherche d’une qualité de vie fondée sur l’intérêt coopératif (p314).  J Rifkin va jusqu’à brosser p 333 une évolution des stades historiques de conscience qu’on peut résumer dans le tableau suivant :
Sociétés de chasseurs-cueilleursConscience mythologique
Civilisations agricolesConscience théologique
Révolutions industriellesConscience idéologique
XXème siècle : pétrole et automobileConscience psychologique
XXIème siècle, 3RIConscience biosphérique

On notera quelques notations sur :

  • l’impasse du nucléaire (p209)
  • les lobbies énergétiques,  (p227 et s)
  • la notion d’efficience énergétique (p299)

Commentaire  général : un livre décapant qui fourmille d’idées. Ça rappelle « la troisième vague » d’Alvin Toffler que j’avais lu dans mon adolescence et qu’il serait intéressant de relire aujourd’hui pour voir ce que la réalité a retenu des promesses faites en 1980. On ne peut s’empêcher d’être admiratif, tout en restant un peu sceptique devant le monde de bisounours décrit par J Rifkin. Sa vision d’un monde durable, partagé, coopératif, où chacun baigne dans un bonheur écologique fait par trop l’impasse sur les  dangers que la planète et l’humanité vont rencontrer dans les décennies à venir. Il a toutefois le mérite immense de dessiner un chemin positif et d’essayer de le concrétiser à travers les expériences qu’il mène un peu partout à travers le monde.

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Patrice Obert

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