Emmanuel Mounier -de Jean-Marie Domenach

Emmanuel Mounier -de Jean-Marie Domenach

 

Seuil 1972 / Réédition Points essais 2014 – Fiche rédigée en 2014

JM Domenach, intellectuel catholique, fut le collaborateur d’E Mounier durant 5 ans. Il lui succéda à la direction de la revue Esprit. Il écrivit ce remarquable portrait  20 ans après la disparition d’E Mounier en 1950.

Son parti pris est chronologique.

Le premier édito d’Esprit en octobre 1932 est très fort et annonciateur de tout ce qui viendra par la suite (p25) « notre action politique est l’organe de notre action spirituelle.. Il n’y a pas une technique du gouvernement et par-dessus, inopérante, une religion invisible de l’esprit. Le spirituel commande le politique et l’économique ». Domenach met ( p28) ce texte en parallèle avec le dernier édito de Mounier  en février 1950.

Si l’inspiration, les modèles, les attitudes sont chez Mounier d’inspiration chrétienne et catholique, il ne fait pas pour autant de philosophie chrétienne, ni de démocratie chrétienne. Il veut instaurer un discours sur la personne qui soit commun aux croyants et aux incroyants ( p31)

Deux thèmes forts :

  • Il faut exister pour pouvoir se donner et, sans ascèse personnelle, l’action tourne à l’agitation
  • Il faut échapper aux solutions de petit bourgeois qui guettent le chrétien

 Dans le second chapitre, Domenach traite de la contestation des années 30. Mounier est marqué à 22 ans par la mort de son meilleur ami .

Influence de Péguy ( la pauvreté  p41 e- s), « l’apprentissage de l’abandon ») d’où le souci « des moyens pauvres » (p42). Si le spirituel se détache de la pauvreté, il retrouve les travées de la droite (p43)

Crise de civilisation de l’Occident : refus du fascisme, du communisme, du capitalisme

Le bourgeois : l’homme qui a perdu le sens de l’Être, qui ne se meut que parmi les choses et des choses utilisables, destituées de leur mystère » (p46)

Esprit se veut un mouvement de pensée et d’action, synthèse en marche, rassemblement de tous les horizons pour édifier les bases de la cité intégrale et de la vie authentique. (p49). D’où l’exigence de « cohérence personnelle »

Rendre révolutionnaires les spirituels, rendre spirituels les révolutionnaires. P50

Domenach retrace p 53 et s les débuts de la revue Esprit, qui se sépare rapidement de la Troisième Voie et crée les « Amis d’Esprit ». Influence de Jacques Maritain. Mais Mounier refuse de faire d’Esprit une revue catholique

« Notre action n’est pas dirigée essentiellement au succès mais au témoignage » p56

Le chapitre suivant est consacré au personnalisme communautaire. C’est le chapitre clé.

La personne n’a pas une seule définition.

La personne est l’homme qui se fonde en niant son individualité et en s’ouvrant à la communauté et à l’univers. On ne possède que ce qu’on donne

« Nous refusons le mal de l’Occident et le mal de l’Orient ». ^Mounier veut un « mouvement croisé d’intériorité et de don » p64.

« Nous sommes contre la philosophie du Moi, pour la philosophie du Nous », sachant que « le Nous est une manière de penser et prononcer la première personne » p65

L’Histoire s’est mal aiguillée depuis la Renaissance p 66.

Le matérialisme exprime la séparation de l’homme avec la nature. Il est au fond une mystique abstraite du concret. « La révolution spirituelle prétend au contraire réhabiliter le monde solide, restaurer la nature dans sa poésie, dans son amitié avec l’homme.. « L’argent a réussi ce que n’avaient réalisé ni le pouvoir, ni l’aventure : installer au cœur de l’homme le vieux rêve divin de la bête, la possession sauvage, irrésistible et impunie d’une matière esclave et indéfiniment extensible sous le désir »

L’humanisme abstrait de la Renaissance s’est divisé en deux voies qui ont engendré les deux frères ennemis de l’individualisme et du collectivisme, libéralisme et totalitarisme. Il faut refaire Renaissance, autrement dit reprendre le projet unifiant et novateur MAIS sans séparer l’homme de son milieu naturel et de ses communautés. P73

« La personne, ce n’est pas l’être, elle est mouvement d’être vers l’être ;p74 (influence de  Bergson, Péguy,  Jaspers, Berdiaeff, Buber)

La personne, c’est la puissance d’affronter le monde, l’opinion, la lâcheté collective.

« l’individu, c’est la dissolution de la personne dans la matière. La personne est maîtrise et choix, elle est générosité…   La personne ne croît qu’en se purifiant de l’individu qui est en elle » p 79

La personne est un mouvement croisé d’intériorisation et de don  p81

« Le destin central de l’homme n’est pas de maîtriser la nature ni de savourer sa propre vie, mais de réaliser progressivement la communication des consciences et la compréhension mutuelle » (phrase clé) p85

« une des déviations maîtresses du capitalisme est d’avoir soumis la vie spirituelle à la consommation, la consommation à la production et la production au profit, alors que la hiérarchie naturelle est la hiérarchie inverse…. Une économie personnaliste règle au contraire le profit sur le service rendu dans la production, la production sur la consommation,  et la consommation sur une éthique des besoins humains replacés dans la perspective totale de la personne.p 88

Le travailleur doit pouvoir exercer les prérogatives de la personne : responsabilité, initiative, maîtrise, création, liberté p 90 ce qui implique le primat du travail sur le capital, le primat de la responsabilité personnelle sur l’appareil anonyme, le primat du service social sur le profit, le primat des organismes sur les mécanismes p 90

1933 : « nous ne voulons pas un monde heureux, nous voulons un monde humain et un monde n’est humain que s’il donne leurs possibilités aux exigences essentielles de l’homme. Tout bouleversement qui ne sera pas commandé par elles, toute révolution qui ne s’accompagnera pas d’une transfiguration, mourra de sa propre mort. P 92

Après ce chapitre  Domenach revient à la chronologie en traitant du temps des engagements

Mounier se positionnera pour une Europe fédérale mais surtout pour un équilibre des hégémonies

Mounier en appelle au discernement combatif

Sous l’influence du philosophe allemand Landsberg, il écrira « L’événement sera notre maître »

Au lendemain des accords de Munich (1938), il parlera des « lendemains d’une trahison » . 107

(puis la guerre, Mounier fait reparaître Esprit à Lyon. P 107 et s, participation à l’Ecole d’Uriage, reparution d’Esprit, au titre du réalisme spirituel sous l’occupation jusqu’à son interdiction en août 1941p 106 à 112)

Pour Mounier, l’événement ne se situe pas là où on le situe communément. Ce sont les situations habituelles qui manifestent le désordre établi tandis que ce sont les hommes, les œuvres et les valeurs qu’aucun n’éclat de signale qui préparent les renaissances…. Il faut être attentif aux signes légers. P 112

Sur son propre destin  p 119

Aux yeux de Mounier, la bourgeoisie a dévirilisé le christianisme. P 123. « on ne peut être totalement chrétien aujourd’hui, si mal le soit-on, sans être un révolté (1934) Le livre « L’affrontement chrétien «  est écrit en 43/44. C’est une réponse à Nietzsche

Sur sa fille (frappée d’encéphalite, puis débile) p 124

L’espérance chrétienne fleurit au-delà de la nuit mystique ; p124

Sur la réception du personnalisme dans les milieux catholiques p 127 à 131

 P 137 : Mounier  «  La mort approche. Non pas la mort du chrétien, mais la mort de la Chrétienté occidentale, féodale et bourgeoise. Une chrétienté nouvelle naîtra, demain ou après-demain, de nouvelles couches sociales et de nouvelles greffes extra-européennes. Encore faut-il que nous ne l’étouffions pas avec le cadavre de l’autre, P 135 et s°°

Le chapitre suivant traite des rapports avec le communisme.

Le communisme fut pour Mounier une obsession et un obstacle

Pour lui, le communisme traduit la défaillance du spiritualisme moderne, est le produit de la trahison de la chrétienté bourgeoise, exprime la conscience des opprimés dont il porte l’espérance. P141

Berdiaeff, indique que le communisme est «le témoignage du devoir non accompli, de la tâche irréalisée du christianisme » et « le communisme n’est possible que parce qu’il repose, non sur l’infaillibilité de la nature humaine, mais sur l’existence du péché… il incarne ce jugement sévère que les sociétés dites chrétiennes n’ont pas voulu porter sur elles-mêmes mais qui pèse inévitablement sur elles. Voilà pourquoi il est si malaisé de distinguer ce qu’il apporte de vrai ou de faux ». p 142

Pour Mounier,  inspiré par Berdiaeff, le communisme restera «  le porteur aveugle d’une rédemption qu’il nie » et « la seule manière de vaincre l’humanisme marxiste sera de la dépasser en puissance d’humanité ».. le personnalisme rejoint le marxisme dans la négation du système bourgeois et du mode de production capitaliste, dans le refus de l’individualisme libéral » et plus loin ( p 144), le marxisme est la philosophie dernière d’une ère historique qui a vécu sous le signe des sciences physico-mathématiques, du rationalisme particulier et fort étroit qui en est issu, de la forme d’industrie inhumaine….le marxisme met en formule la tension extrême d’une civilisation qui meurt (écrit en 1936)

En 1946, il écrit « il est difficile de n’être pas communiste et il est encore plus difficile de l’être »

*

Domenach, dans la conclusion, livre cette réflexion saisissante de Mounier. « je crois que, dans le monde moderne qui est une fin du monde, la fin de l’époque bourgeoise, individualiste, qui a marqué les trois derniers siècles, le spirituel incarné est en grande partie mort chez les gens même qui le professent. Il ne s’agit pas de sauver ces formules mortes, il s’agit de redécouvrir un nouveau visage du spirituel ( déc 1944)p 169

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Patrice Obert

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