Au sujet d’un travail sans titre et non-publié de Jean-Marc Bourdin avec la grille girardienne

Au sujet d’un travail sans titre et non-publié de Jean-Marc Bourdin avec la grille girardienne

Jean-Marc Bourdin est un ami, passionné et spécialiste de René Girard. J’ai pu lire son manuscrit de 90 pages et j’en suis resté « sur le c… »

Jean-Marc Bourdin réussit le tour de force de nous parler pendant 90 pages de Dieu en nous démontrant à force de citations des évangiles que la seule façon d’aller vers une bonne vie, c’est de mettre en pratique le vade-mecum évangélique… quitte à ne pas croire en Dieu.

Pour ce faire, il a recours à un guide de lecture qui est l’analyse de René Girard selon laquelle les comportements mimétiques humains s’organisent selon quatre modèles : le rival, le modèle, le disciple, la victime. JM Bourdin s’empare de cette grille de lecture (qu’il décortique en de savants croquis, apparemment compliqués mais qu’il sait rendre limpides) et explore pour nous les évangiles en décomposant toutes les relations croisées entre ces quatre rôles :

  • La relation rival/victime constitue le pain quotidien de notre monde (dénommé « principautés et puissances ») et fait l’objet de la première partie,
  • La relation modèle/disciple, prônée et mise en œuvre par Jésus pour faire advenir un monde meilleur (dénommé « royaume de Dieu dans les schémas Bourdinesques), est traitée dans la deuxième partie,
  • La relation entre ces deux axes, rival/victime d’un côté, modèle/disciple de l’autre, justifie la troisième partie,
  • Une quatrième partie élargit l’horizon

On n’en sort épaté et interrogatif.

Epaté car on se demande où cet honnête homme du XXIème siècle (c’est comme cela qu’il se présente), directeur à la Ville de Paris de son état professionnel, père de quatre enfants (auxquels il dédit cet ouvrage), qui se revendique spécialiste de rien, a trouvé toute cette science évangélique, fruit sans doute d’une longue et attentive fréquentation. Les quatre évangiles sont scrutés, analysés, décortiqués. Mais pas seulement les évangiles, c’est le Nouveau Testament tout entier, mais aussi l’Ancien. Et aussi toutes sortes de lectures profanes qui sont appelées pour étayer, confirmer, expliquer les thèses de l’auteur.

On sort donc épaté et convaincu que la grille de lecture de René Girard – ou de JM Bourdin ?- fonctionne à merveille et que les évangiles mettent bien en scène ces quatre rôles majeurs auxquels les comportements humains n’échappent pas.

Epaté mais interrogatif. Car, finalement, à quoi veut nous conduire JM Bourdin ?

  • à un savoir universitaire, comme il le laisse penser dans l’introduction ?
  • à une justification du christianisme comme élément fondateur de notre société, comme le chapitre 14, notamment, le suggère ? Car, à n’en pas douter, font bien partie de ce qui doit « être rendu à Jésus (p84) :

-la place reconnue aux femmes et aux enfants (p75)

-la redistribution sociale et fiscale ainsi que la lutte contre l’extrême pauvreté (p84)

-la devise républicaine dans son triptyque liberté/égalité/fraternité (p85)

-la liberté de croyance et de conscience

-la laïcité elle-même, et tant d’autres choses encore dont nous ne soupçonnons pas qu’elles plongent leur origine dans les ruptures réalisées à l’époque par Jésus, en actes comme en paroles.

Il en va également des « fortunes et impasses du capitalisme libéral » (p86) et là, JM Bourdin a recours à Alexis de Tocqueville pour analyser les dysfonctionnements de nos sociétés industrielles et démocratiques à travers le prisme des quatre rôles identifiés à travers notamment les formes contemporaines de l’art, de la mode ou de la compétition sportive

  • Mais l’intention de JM Bourdin va sans doute au-delà car ce sont les travers de notre société qu’il analyse en réalité en se moquant de notre société qui, « malgré ses ficelles et son habilité à traiter du désir dans le cadre d’une société libre de l’échange des biens et des plaisirs des sens, …n’est jamais aussi loin qu’elle le pense de la violence de ses fondations originelles » (p91).

Nous sommes bien là au cœur de sa thèse. Notre société, comme toutes les sociétés, n’a pas gommé ce fait essentiel que JM Bourdin rappelle page 10 : « l’homme est, d’abord et avant tout, et inévitablement, un rival ». L’affrontement, lié à la peur, est donc inévitable, avec son flot de violence et son lot de victimes.

Ce que dénonce JM Bourdin, c’est l’aveuglement de notre société qui croit s’être libérée de ce schéma fondateur (dis-tu vraiment cela ?) alors même qu’elle reproduit dans son fonctionnement les mécanismes mis à jour et dénoncés par le Jésus des évangiles. La grille de lecture de René Girard a en effet le mérite de démasquer la perpétuation de ces jeux de rôles et de mettre en lumière, a contrario, l’actualité toujours urgente des faits et gestes de Jésus, qui, conscient de la force de ce modèle, nous invite aujourd’hui encore plus qu’hier à le déconstruire systématiquement (p18 et 23 notamment) :

  • en culpabilisant les agresseurs
  • en brisant l’unanimité factice des persécuteurs
  • en renonçant à répondre à la violence par la violence, quitte à risquer le martyre
  • en enjoignant à la victime de reconnaître son péché, son manque d’amour
  • en ouvrant la vérité par la grâce du pardon
  • en prônant la responsabilité et la réparation pour le mal commis
  • en dénonçant les faux modèles
  • en rappelant la vertu de l’humilité
  • en aimant systématiquement son prochain, son voisin, vieux commandement de la Bible toujours d’actualité de nos jours où le respect de l’autre n’est même plus assuré.

Finalement, JM Bourdin nous livre une sorte de vade-mecum, ce qu’il appelle une anthropologie du christianisme. Point n’est besoin, à la limite, de croire en Dieu, si ces clés de comportement nous :

  • aident à résister à l’éternelle tentation du matériel, du surnaturel et du temporel (p59)
  • poussent à défendre les victimes (p71)
  • rappellent que la priorité d’Autrui (p93) est la seule véritable façon de refuser ce monde de rivalité et d’en faire un monde vivable.

Aussi, ce livre, plus qu’une simple et modeste  réflexion à caractère universitaire, vise bien à « proposer à tout un chacun des schémas d’action, une praxis pour la plupart des moments de l’existence (p81) » et appelle notre époque à réussir un fabuleux défi : «  après s’être évertué à penser sans Dieu, voire souvent contre lui, (notre époque doit désormais) penser à partir de l’incomparable richesse des évangiles » (p22)

Invitation quasi provocatrice mais qui vise à redonner du sens à un monde qui désespère. JM Bourdin, sans forfanterie ni prosélytisme, avec rigueur mais non sans humour, nous rappelle que nous avons en nous, dans notre patrimoine, les clés pour glisser dans notre Modernité parfois désespérée ce petit grain de sel de spiritualité qui lui manque.

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Patrice Obert

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