Flammarion – 2013
Ce livre est écrit dans la perspective des élections européennes de mai 2014. C’est un terrible cri de colère, lancé par une actuelle eurodéputés qui ne mâche pas ses mots pour dénoncer la tyrannie (p13) que les responsables nationaux exercent en se proclamant dirigeants de l’Europe, qui en appelle à « un sursaut nécessaire »(p12), qui se demande (p112) face à la dérive actuelle « à quoi bon aller siéger encore dans ce Parlement ? ».
Pourtant, elle croit encore qu’il soit possible de « faire l’Europe ». C’est ce qu’elle exprime dans les dernières pages de ce livre salutaire et indiquant que c’est bien cela l’enjeu des élections européennes.
Le cœur de l’analyse de Sylvie Goulard tient dans l’argumentation serrée qu’elle fait de l’échec de de la coopération entre les Etats Européens. De cet échec, la France a sa part, qui n’est pas mince. Mais toutes nos élites en sont responsables, qui n’acceptent pas de céder une partie de leur pouvoir ou de leur influence dans le cadre national dans l’intérêt général (62). Banal et triste constat.
Et de citer Jean Monnet (p17) »Nous unissons des hommes, nous en coalisons pas des Etats »
L’échec des coopérations entre Etats ? En vrac :
- Le traité de Maastricht laissait aux Etats la responsabilité des politiques économiques et sociales. Qu’en ont-il fait ? (p10)
- Le Conseil européen ne rend de comptes à personne ( p14)
- les ministres des finances de la zone Euro travaillent dans l’opacité la plus totale ( p15)
- L’implication directe des chefs d’Etat ne garantit pas l’efficacité de l’action publique mais elle contribue à détruire la concorde entre Européens et l’image de l’Europe vis-à-vis des tiers
- 27% des enfants de l’Europe sont frappés de pauvreté (rapport 2012 de l’Agence européenne pour la protection des droits fondamentaux) p27
- Les dirigeants ont raté le volet humain (p28)
- Sacraliser la souveraineté nationale revient à émietter le pouvoir de décision
- La limitation du budget européen à 1% du PIB
- La supervision bancaire suspendue à l’accord du seul Bundesrat (p41)
- Risque de fragmentation du droit (p42 à 45) par la mise à l’écart de la Cour de Justice Européenne dans l’Union Economique et monétaire (p46)
- L’échec de la politique extérieure et de sécurité commune ( p70)
- La défaite du multilatéralisme ( p72)
La troisième partie est consacrée à la légèreté avec laquelle les gouvernements, notamment les gouvernements français, traitent le parlement européen (p85 et suivantes). S Goulard a des mots très durs : « cette assemblée n’a jamais été un enjeu stratégique ; c’est parfois même pour les partis politiques la poubelle des élections nationales. Privés de certaines prérogatives clés, ce n’est pas un parlement « normal » au point que les gouvernements le prennent pour un paillasson »
- 22 commissaires sur 28 viennent des pays qui représentent moins d’un tiers de la population européenne. Est-ce raisonnable ? demande, S Goulard (p31 et 32)
Les 6 Etats les plus peuplés (Allemagne, France, Italie, RU, Espagne , Pologne) | 66% de la population (360 millions sur 500) | 75% PIB. |
Les 10 suivants comptent entre 7 et 9 millions d’hbs | 22% de la population | 13% du PIB |
Les 12 restants | 7% de la population | 14% du PIB |
- P 65 « le peuple est abusé non parce que l’Europe existe mais parce que les responsables nationaux continuent de se comporter comme si elle n’existait pas »
Certes, indique S Goulard, le parlement (p95) :
- Ne dispose pas du droit d’initiative législative
- Ni du pouvoir budgétaire
- ni ne contrôle le véritable exécutif, à savoir le Conseil européen
mais il a deux atouts (p97) :
- les débats sont public, pluraliste et transfrontière
- s’applique la loi démocratique via le vote majoritaire
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sur les médias –p102) le temps consacré à l’Europe dans le JT est d’environ 2,5%
Sur la France :
Elle croit possible d’avoir une Europe forte avec des institutions faibles (p19)
Sur l’Allemagne :
A Merkel a fait disparaître dans le traité de Lisbonne le terme de « communauté européenne » au profit de « Union Européenne » p17
L’Allemagne oscille entre une culture européenne traditionnellement démocratique et fédérale et une méthode Merkélienne de renationalisation des politiques européennes. P18
Vu du monde
P60 Elle cite « pendant l’élection présidentielle française, in investisseur chinois a lâché « je ne m’intéresse pas aux élections régionales de la zone euro »
S Goulard ouvre toutefois, à partir de la page 116, quelques pistes :
P116 : « Tout « gouvernement » européen devra en définitive répondre à des exigences démocratiques d’inspiration fédérale et parlementaire ». Elle souligne en quoi les français ont tort de ne pas comprendre l’intérêt qu’ils tireraient d’une Europe fédérale. « Une organisation fédérale pourrait assurément permettre de se libérer des intrusions actuelles des Etats puissants dans les affaires des plus faibles. A la place de l’opacité des négociations intergouvernementales, elle apporterait des garde-fous et plus de transparence. Ni plus, ni moins »(p 118 et 119).
Elle précise (p128) « nous devons concevoir une puissance publique européenne qui soit à la fois en mesure de décider, avec un exécutif fort, si j’ose dire, « à la française », mais contrôlé, si j’ose dire, « à l’allemande », c’est-à-dire étroitement soumis au regard d’une assemblée parlementaire. Nous devons également combiner la compétitivité et la solidarité »
Et d’évoquer in fine la notion de « République européenne »
Commentaire : Ce livre se situe dans la continuité du livre écrit à deux mains par Sylvie Goulard et Marion Monti « De la démocratie- Voir plus loin » (flammarion 2012). On y retrouve la même passion, la même liberté de ton.
La charge contre l’inefficacité des politiques de coopération intergouvernementale est forte et justifié. L’Europe n’avance pas, elle se paupérise, elle se coupe de la population, elle attise la discorde entre les peuples. S Goulard a raison de signaler que cette Europe est empêchée d’agir par les Etats nationaux qui refusent de se projeter dans une Europe politique.
Le diagnostic est clair. Chacun le ressent. On sort de cette lecture convaincu que rien ne bougera tant que les membres du parlement européen ne décideront pas, forts de leur légitimité d’élus, de faire un « coup d’Etat juridique », un big bang institutionnel, initiative que doivent porter les Européens solidaires.
On retient l’idée fédérale et le souvenir de la Communauté européenne, disparue dans le traité de Lisbonne.
Pourquoi ne pas réfléchir dans ces conditions à ce que pourrait être une Communauté fédérale européenne ?