Sylvain Kahn, européaniste, agrégé d’histoire et professeur à sciences-po, nous gratifie avec cet ouvrage d’un petit livre très intelligent sur l’évolution récente de l’Union européenne face à la covid 19 et à la survenue de la guerre en Ukraine. Dès l’introduction, il pose la double question centrale « L’Union européenne agirait-elle comme un Etat, et ses habitants comme des Européens ? ».
Pour y répondre, il retrace dans un premier chapitre la façon dont l’Union avance à chaque crise, de crises en crises, pourrait-on dire, image assez classique mais bien réelle Il analyse ensuite la manière dont l’UE a réagi d’une part face à la covid, d’autre part face à l‘invasion russe, faisant preuve à chaque fois d’une grande capacité d’improvisation et mettant une place ce qu’il appelle « une politique de l’événement » ( ce qui n’est pas sans rappeler l’affirmation d’Emmanuel Mounier selon laquelle « l’événement est notre maître »). On lira attentivement le passage consacré pages 78 et s au « moment européen » des années 90, puis les pages 119 et s.
L’UE est l’unique entité territoriale supranationale de l’espace mondial, elle a fait le choix d’une mutualisation de la souveraineté et du territoire, elle a tourné le dos aux rapports de puissance et de domination, elle a tourné la page de l’impérialisme, elle préfère l’interdépendance, la négociation, l’échange et la convergence. Elle s’étend par attraction, elle joue la carte de la paix et du dialogue, du commerce et de la discussion. La Russie représente l’antithèse, le maintien de la volonté de puissance et de domination.
Il y a là un pari qui, à court terme, semble risqué face au comportement anachronique de la Russie. Ce faisant, l’UE a réussi – et Sylvain Kahn le démontre très clairement- à réagir très rapidement et très efficacement, en gardant son unité, en se positionnant comme une unité aux capacités régaliennes, ( p 102), en maniant les outils du régalien et de la puissance, à savoir « faire la guerre », en démontrant une volonté politique stratégique propre. Il évoque enfin (p 114) les modalités subtiles des élargissements graduels à venir avec la règle du « véto+ », qui pourrait prendre deux formes : 1° Le veto devra être posé par deux Etats au minimum, entrés dans l’Union à deux périodes différentes, 2° Subsisterait un véto résiduel en nombre limité en cas de péril d’intérêt national.
Pour l’auteur, l’UE se comporte bien comme un Etat. Reste que sa population, vieillissante, trop précautionneuse, si elle souhaite être défendue par l’UE, n’est sans doute pas encore prête à mourir pour l’Ukraine ou pour l’Union.
Un livre qui vient en écho aux questions que Gérard Vernier et moi-même posons dans L’Europe et ses défis – Vers l’émergence d’une puissance continentale ( L’Harmattan – 2024). Notre conclusion était que l’Europe doit retrouver sa puissance mais sans être prise par la volonté de puissance et qu’il existe sans doute un peuple européen mais il n’a pas encore conscience de lui-même.
Un livre fin et facile à lire qui livre une vision optimiste de l’évolution de l’Union européenne. Certes, le combat reste quotidien et les menaces sont graves, mais le fil de l’histoire européenne se déroule dans une dynamique qui, pour l’instant, n’a pas été remise en cause.
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