La vie dessaisie – la foi comme abandon plutôt que la maîtrise, de Foucauld GIULIANI

La vie dessaisie – la foi comme abandon plutôt que la maîtrise, de Foucauld GIULIANI

2022 Desclée de Brouwer

Lettre de Patrice Obert à Foucauld Giuliani au sujet de son livre La vie dessaisie sous-titre « La foi comme abandon plutôt que la maîtrise,  2022, Desclée de Brouwer

On trouvera en italique petits caractères les commentaires de Foucauld Giuliani dans le corps du texte

 Cher Foucauld

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt La vie dessaisie. J’y ai été incité par la très intéressante lecture de ton entretien avec Matthieu Giroux paru dans Le Monde du 3 mai 2022.

Je t’avoue que l’exercice est assez frustrant car j’ai ressenti que s’y disaient des choses essentielles tout en en trouvant la lecture difficile.

 Sensible à la structure des ouvrages, je continue à m’interroger sur le sommaire. A trois Epoques, courtes, de format poétique, regroupées dans une Introduction de 4 pages, répondent à la fin trois Appels, qui tiennent chacun en une page.

Après Epoque, qui sert d’introduction, un chapitre essentiel, « Situation », s’ouvre par une phrase clé « La peur augmente à mesure que s’accroît le sentiment d’être acculé dans une impasse toujours plus étroite ».  La lecture attentive de ce chapitre est indispensable mais difficile.

Puis suivent deux parties intitulées, la première L’homme dessaisi, la seconde La communauté dessaisie ; la troisième partie n’en est pas une, même si le titre Le dieu dessaisi, pourrait le laisser penser. Cette troisième partie tient en une seule page !

C’est donc par une lecture attentive que j’ai tenté de me résumer à moi-même ce que tu souhaites dire à tes lecteurs, synthèse que je te soumets pour m’assurer que j’ai compris le fil de ta pensée.

*

Notre époque est dominée par la peur. Cette peur est d’être menée par une force destructrice qui nous mène à la catastrophe. Comme une fatalité. Nous laissant un sentiment d’angoisse et de désespoir. D’où la question qui porte le livre : quelle puissance peut nous rendre la liberté, dont l’absence nous condamne à cette peur et à cette angoisse ? A cette question tu réponds : la foi chrétienne (paradoxalement, sans exclure que d’autres forces aillent dans le même sens…).  Oui. La foi chrétienne réinsère de l’alternative et du possible là où s’imposent l’écrasement et le renoncement des esprits via à la fatalité qui est moins une loi de l’histoire qu’un certain regard posé sur elle. L’enjeu est de se tenir dans le sentiment du tragique, qui est à la fois l’épreuve d’une mécanique en marche difficilement arrêtable et l’espérance d’un renversement de cette mécanique apparemment inéluctable. D’où l’importance de la notion de tragique dans la partie I.

Plus loin, tu indiques que ce livre est une tentative de penser la foi, qui renvoie à la notion-clé de dessaisissement, que tu définis page 110 ainsi : « le dessaisissement est l’état d’une personne en relation avec un Dieu inappropriable qui la réclame entièrement. Dieu dépossède l’homme de toute possibilité de le contrôler, mais également de toute illusion de souveraineté plénière. L’homme se découvre recréé par Dieu, appelé et disposé au don de soi, au service d’autrui, à la charité…. La réception et   mise en pratique de cet appel – enjeu véritable de la vie chrétienne- caractérise l’homme dessaisi dont les modèles sont le Christ et le saint. La communauté inhabitable… dispose ses membres à vivre un tel dépaysement et donne en même temps le témoignage d’un dessaisissement collectif. Communauté de manque, l’église n’est pas une communauté léthargique pour autant. Vécu dans une perspective chrétienne, le manque engendre le désir et l’ouvre à la conversion à la charité ».

Je comprends mieux de ce fait « La vie dessaisie », titre de l’ouvrage, comme « la vie abandonnée à Dieu » ; le sous-titre du livre « La foi comme abandon plutôt que la maîtrise » m’est davantage compréhensible. Ce chapeau me permet de mieux comprendre la première partie et la seconde.

Concernant la première partie, je me suis demandé si tu n’aurais pas pu la résumer dans un schéma.

En haut d’un triangle, l’Eglise, marquée par l’écartèlement.

Dans la pointe gauche du triangle, l’intériorité, marquée par l’éclatement.

Dans la pointe droite du triangle, le monde, marqué par l’abandon.

Au centre du triangle, ce qui caractérise ces trois mondes, l’état d’inhabilité, épreuve créatrice porteuse de la réconciliation avec Dieu. Cette inhabilité débouche sur deux solutions : la libération des esprits des terreurs apocalyptiques contemporaines d’une part, la substitution de la peur par la détresse et l’inquiétude, d’autre part, que tu désignes comme des symptômes paradoxaux. Intéressant, merci pour ce travail de clarification.

J’ai envie de te dire « Ok, mais comment le formuler plus simplement pour nous ? » 

Quant à la seconde partie, elle cherche, à travers plusieurs approches, à définir ce qu’est l’église (pages 102, 104, 136, 139, 151, 156) aboutissant à la définition suivante :  l’église est une communauté en manque, la solidarité des êtres en manque de Dieu, autrement dit, la communauté des hommes brisés, une église de la soif. Autrement dit également, les chrétiens, dans leurs prières et leurs célébrations témoignent en même temps de l’absence et de la présence de Dieu.  C’est cela, en effet, l’enjeu étant pour moi de montrer que la foi est autant l’expérience d’un manque que d’une présence, ce qui fait d’elle, intrinsèquement, une réalité paradoxale.

Page 115, tu invites les chrétiens à agir dans deux directions. La première est au sein de l’église, en s’organisant de façon à se laisser travailler par la parole biblique. La seconde est à l’extérieur de l’église et concerne l’attitude des chrétiens face au pouvoir politique. En tant que Poissons Roses, je me permets un zoom sur ce dernier point, que tu développes de la page 110 à 116 avec un ressac page 150/151.

Il faut toutefois partir d’un préliminaire très clair mentionné page 85 : les chrétiens sont pris au piège : d’un côté, le christianisme est invoqué comme un fait patrimonial, une identité culturelle à conserver, de l’autre il est rejeté au nom de sa participation à une Modernité dont nous sommes tous collectivement malade.

Dans ces conditions, l’attitude du chrétien vis-à-vis de la politique se définit en quelques mots :

  • Rappel du vide de la légitimité des chrétiens à agir en politique
  • Une activité d’interpellation, en rappelant les conditions du bien commun et d’une vie digne pour tous
  • Une dénonciation des violations des droits des plus pauvres
  • Enfin, en cas d’accès au pouvoir, une participation concrète se caractérisant par un soutien aux décisions justes et un non-soutien aux décisions injustes (sic) ;
  • Ceci permettant de « prendre conscience des activités et des lieux (économiques, professionnels, sociaux…) par lesquels les pouvoirs façonnent [les individus] »

 Je note en parallèle une dénonciation sans appel du capitalisme qui traverse l’ensemble du livre. A ce propos, je te demande s’il n’y a pas une confusion avec la dénonciation du monde « industriel ». Car, le capitalisme naît au 16è siècle, se développe, accompagne la montée en puissance de la révolution industrielle du 18 et 19è siècle. Le communisme soviétique met en place une économie collectiviste qui se donne comme objectif de faire mieux que le capitalisme. Parallèlement s’installe un capitalisme financier. Plus proche de nous, le « communisme chinois » invente un nouveau modèle de société industrielle. Tandis que les Européens cherchent à développer un capitalisme régulé et que d’aucuns cherchent à utiliser les capacités financières du capitalisme pour organiser une transition écologique et énergétique. Intéressant, merci, je serai ravi de pouvoir parler de ce point avec toi.

Pour résumer, il me semble que tous ces propos sont d’une grande abstraction et n’aident en rien le militant de base, quand il s’interroge, comme nous, sur la façon de mettre en œuvre une action politique concrète. Je réagis ici brièvement à l’épineux problème de l’abstraction du propos : en effet, tu as raison, je reconnais que ce texte est, en majorité, à tonalité philosophique/conceptuelle. Je vois quatre raisons principales à cela mais il en existe sûrement d’autres qui m’échappent (car il ne faut pas surestimer sa capacité à voir parfaitement clair en soi-même !). 

-Je comprends ce texte comme le pendant de La Communion qui vient en ce qu’il tente de rendre compte d’une expérience de foi de façon plus personnelle, d’où le fait que le livre soit moins en prise directe sur l’époque que ne l’était La Communion qui vient. 

-Mon désir est de donner un langage conceptuel à une expérience concrète et personnelle qui, je l’espère, rejoint, au moins en partie, l’expérience de spiritualité chrétienne vécue par d’autres. Mais donner un langage conceptuel à l’expérience, c’est toujours prendre le risque de lui faire perdre justement son caractère immédiat et concret. 

-Je suis assez partagé, intérieurement, intellectuellement, sur la question du langage conceptuel : je pense qu’il est indispensable (le concept opère inévitablement par simplification/généralisation mais ce faisant il peut être le révélateur/l’accoucheur d’un commun déjà vécu ou en voie d’émergence, or un grand défi de l’époque est justement de donner un sens à la notion de « commun »…) et cela explique que j’y ai recours mais je reconnais en même temps volontiers qu’il n’est pas au sommet des moyens d’expression mis à disposition de l’homme. Je crois ainsi que le langage de la poésie ou bien la pensée méditative (dont le propre, selon moi, est de recevoir son objet plutôt que de le forger) sont bien souvent plus proches de la vérité que l’outillage conceptuel. D’où mon désir de faire intervenir la poésie dans ce texte, afin de cerner au plus près l’expérience de foi que j’essayer de penser.

-Notre époque, fatiguée de la raison, me semble exiger des chrétiens une attitude d’équilibriste : montrer l’insuffisance de la raison envisagée en tant qu’entité refermée sur elle-même ; montrer la dignité et la nécessité de la raison conçue en tant que faculté enracinée dans un désir de vérité qui reçoit sa force d’une lumière située bien au-delà de toute capacité démonstrative/objectivante. C’est, je crois, l’une des grandes leçons de saint Augustin comme de Blaise Pascal, que j’aime tant.

Ce faisant, j’entends ton analyse selon laquelle « le déclin de la pratique du christianisme dans les pays européens riches, dans la seconde moitié du XXè siècle, [est] pour partie liée à l’effacement de la conscience du manque ou à sa juste interprétation », comme manque de Dieu (p 107 et 108).

*

Cher Foucauld, je suis saisi, comme dans La communion qui vient, par la radicalité de ton propos, par ton appel à un abandon complet, radical, à la volonté de Dieu, par ta lucidité et ton humilité (p 75 et 76). En fait, tu nous appelles à la sainteté et, dans l’obscurité, à l’abandon à la promesse de Dieu afin de se dessaisir pour être mieux recréés, comme nous y exhorte ton APPEL III qui clôt ton livre.

crédit photographie

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Patrice Obert

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