Douze femmes dans la vie de Jésus – de Anne Soupa

Douze femmes dans la vie de Jésus – de Anne Soupa

Fiche de lecture établie en 2020

Ed. Salvator -2014

Il faut lire ce livre. Que vous soyez chrétien ou pas, homme ou femme, bien dans votre peau ou mal dans votre vie, instruit des choses de la religion ou pas, ce livre vous aidera. Il vous guidera vers l’essentiel, c’est-à-dire le sens de la vie, la rencontre avec Dieu. D’autant que le voyage vous semblera facile. L’écriture d’Anne Soupa est fluide, chantante, poétique tout en étant argumentée, référencée, sérieuse. Elle nous prend par la main et nous entraine au-delà de nous-même. Sans le faire apparaître, elle fait œuvre de pédagogie, situant d’un mot une époque historique, dessinant des paysages, renvoyant régulièrement aux textes bibliques, expliquant en quelques phrases les objectifs des quatre évangélistes, rappelant les positions de l’Eglise institutionnelle. Pédagogue, elle s’affirme aussi dès le début cette femme de conviction profondément choquée par la lecture masculine faite des textes depuis quasiment l’origine. Blessure personnelle, qui la meurtrit profondément, et blessure collective en constatant le gâchis que cette interprétation fausse, et souvent volontairement mensongère, a causé et continue de causer parmi toutes celles et tous ceux qui cherchent le sens de leur vie.  J’ai lu ce livre, écrit en 2014, à la lumière de la récente candidature d’Anne Soupa au poste d’archevêque de Lyon. Sans doute n’avait-elle pas en tête à l’époque cette décision forte et qui a un écho considérable en suscitant des réactions multiples, parfois favorables, parfois hostiles. Mais l’indignation qui la porte, la colère aussi, étaient déjà là, appuyées sur une lecture intransigeante, argumentée, et magnifiquement inspirée.

Le livre est constitué d’une introduction, de 12 chapitres consacrés chacun à une, voire deux, femmes et d’une conclusion. Je me contenterai dans cette fiche  de mentionner  quelques points des chapitres qui m’ont paru les plus importants et de souligner en conclusion trois sujets transversaux qui me semblent fondamentaux.

L’introduction et le premier chapitre souligne que « Jésus a été salutaire aux femmes et elles lui ont été indispensables » (p 9) sans que Jésus se préoccupe du sexe de ses interlocutrices (p11). Il vit avec elles des relations empreintes de bienveillance. A Soupa n’évite pas les sujets sensibles (p14 et 15) sur « cet amour entre Jésus et les femmes », le célibat de Jésus, son homosexualité envisagée par certains, sans doute pour s’en débarrasser. Je salue le courage tranquille dont elle fait preuve pour aborder les sujets les plus intimes, en dédramatisant, sereinement (par exemple en évoquant la dimension sexuelle des personnes (p 117) ou le dépassement de la sensualité dans le rapport à Dieu (p190)). C’est dans le chapitre 1 qu’elle commence à s’interroger avec nous sur la nature du Corps de Jésus ressuscité (p35), un « corps fraternel ». Cette question traverse le livre et annonce le dernier chapitre consacré à Marie de Magdala.

Le chapitre consacré à Marie est très fort.  Bien loin du rôle dans lequel l’Eglise a cantonné Marie ( cf la conclusion en forme de réquisitoire). Marie, pour A Soupa, c’est « le modèle du croyant, homme et femme » (p54), qui n’a peur, ni de la transgression sociale, ni de la transgression aux lois de la nature.  Marie, Temple de Dieu, figure d’Israël. A Soupa insiste sur la force du Magnificat, son audace sociale, qui signe un engagement sans faille pour les humbles et les petits.

Le chapitre 5 traite de la Samaritaine. Quel travail de démasculinisation ! Jamais je n’avais lu une telle interprétation qui repose sur la dimension symbolique de cette « figure » dessinée par Jean, et qui balaie loin les 5 maris de cette femme dans lesquels il faut voir des « maris théologiques ». La Samaritaine nous parle de l’articulation entre Israël et la Samarie, à laquelle est proposé le don de Dieu. L’actualité de ce texte, on la lira p 105. Nos sociétés consumées de consommation restent en quête de sens. La Samaritaine nous indique que les noces spirituelles entre l’être humain et Dieu se fondent sur l’amour.

Du chapitre 7, je retiens les pages 122 à 125 où A Soupa nous parle de « Jésus ou l’art de guérir ». Intuition fondamentale aujourd’hui où nous sommes abreuvés de livres sur le développement personnel. Jésus nous demande de soigner et de nous soigner. Il éduque, protège, guérit. Certes, il apporte bien plus en nous offrant sa résurrection, mais il est essentiel de rappeler combien il aide cette femme à devenir « actrice de son salut ».

Du chapitre 8, je retiens la façon d’A Soupa de déplacer les perspectives. Dans l’histoire de la pécheresse, « ce n’est pas le péché qui est au centre du discours, c’est la capacité de cette femme à rejoindre Jésus » (p137) et l’éloge que fait Jésus de la disponibilité fondamentale à accueillir la vie (p138).

 La « Chienne de cananéenne » du chapitre 9 nous parle aussi de la nature de Jésus, « plus Dieu que jamais, à laisser ainsi la petitesse humaine affleurer en lui » (P 162 et 163).

Du chapitre 10 consacré à la veuve aux deux piécettes, je retiens cette réflexion sur l’usage des biens : « savoir en user sans en dépendre, savoir s’en passer lorsqu’ils manquent, et surtout les partager lorsqu’ils sont abondants. Qu’ils soient source de liens et non d’addictions » (p174).

Les deux derniers chapitres portent sur d’une part Marthe et Marie, d’autre part sur Marie de Magdala : 10 pages (p184 à 194) sont consacrées à Marie de Béthanie, 7 à Marthe (p194 à 201), 25 (p 203 à 228) à Marie de Magdala.  Quelle admiration se dégage pour ces trois femmes, si différentes ! On avance pas à pas dans ces trois rencontres qui aboutissent au dialogue longuement analysé entre Marie et son Seigneur et, p221, à cette synthèse : « En ces quelques mots se dessinent les traits essentiels de l’être humain selon la Bible : il est frère de son semblable et relié à Dieu par des liens d’amour ».

 En conclusion de cette fiche trop rapide – car comment rendre la saveur des mots d’A Soupa, sa délicatesse ? -, je voudrais insister sur trois points :

Premier point :  Les relations entre Jésus et les femmes sont au cœur de ce livre. Un passage, p 196, en résume la richesse. Chacune de ces femmes lui permet un saut qualitatif dans sa mission. « Sa mère lui permet d’oser se lancer dans sa vie publique (saut dans le temps), la Cananéenne d’élargir sa mission au-delà des frontières ethniques d’Israël (saut dans l’espace), Marthe d’outrepasser la mort en redonnant la vie [à Lazare] (un saut vers l’au-delà de la vie terrestre). Dans chacun de ces trois cas, Jésus est devant quelque chose d’inconnu. Et les femmes sont là. Une évidence s’impose : ce qui opère, ce n’est pas la seule personne de Jésus, mais la qualité de la relation qu’il a avec les femmes. Celles-ci contribuent de manière constructive et opérante à nouer avec Jésus une relation créatrice de vie et d’amour ».

Deuxième point : la résurrection et la mort.  Je renvoie aux pages 197, 204, 218 et 219. « La promesse de résurrection est déjà Résurrection » (p 198).  Dans la scène où Marie de Magdala vient au tombeau, elle s’adresse au jardinier.  Ce jardinier, c’est le Dieu créateur (p 216), qui va recréer Marie. En s’adressant à Marie par son prénom, Jésus ressuscité crée un appel qui provoque sa reconnaissance et son retournement. « Sans relation, pas de résurrection » dit A Soupa (p 218).  Jésus intime à Marie deux consignes : ne me touche pas et va en parler à tes frères. Une fois Jésus vu, reconnu, identifié, la vie ne reprend plus comme avant. La résurrection n’efface pas la traversée de la mort.  Cette mort « se révèle être l’épreuve du lien » (p183). La résurrection témoigne que ce lien peut devenir pérenne.

Troisième point : le gâchis de la relation entre l’Eglise et les femmes. C’est moi qui utilise le mot gâchis. A Soupa ne l’emploie pas. Au fil des pages, on peut noter ses observations sur la façon dont les hommes ont rendu compte des passages des Evangiles, sur leurs omissions, sur leurs stratagèmes pour enfermer les femmes dans leur condition sexuelle. Et, du coup, (p 188, 193, 201, 220 notamment…)  on voit prendre corps cette candidature pour l’archevêché de Lyon. Ainsi Marie de Béthanie, une femme « qui n’a ni titres ni savoirs dûment estampillés, une simple amie » est installée par l’évangéliste Jean en « officiante de cette liturgie sacrificielle. Jésus, verbe de Dieu venu dans le monde, laisse une femme présider le rituel sacrificiel qui annonce sa mort » (p 188). « Une femme a pris la meilleure part.  Preuve que rien, dans l’esprit de Jésus, n’aurait pu empêcher une femme de le suivre » (p201).

 L’Eglise a fait un contresens dramatique.   La confusion réalisée au VIème siècle (p222 et s) entre Marie de Béthanie, la pécheresse mentionnée par Luc et Marie Madeleine a permis de gommer les traits de chacune de ces trois figures. Ainsi, avec A Soupa, on peut s’interroger sur ce que l’Eglise a fait du commandement de Jésus relatif à l’onction de Marie de Béthanie « En vérité, je vous le dis, partout où sera proclamé cet évangile, dans le monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu’elle vient de faire (Mat 26, 13 ; Luc 19, 9) (p 193). On peut également s’étonner avec elle de la valorisation de Saint Pierre et donc de Rome au moment où la primauté du siège de Pierre était devenue un atout majeur dans la lutte de la papauté contre l’Empereur et le roi de France (p225). Le dernier chapitre enjambe la conclusion pour analyser cette contrefaçon dramatique. Pour A Soupa, la cause majeure tient à « l’existence d’un clergé masculin et célibataire » (p232). Ainsi, « au cours de la longue histoire de l’Eglise, les femmes ont perdu la place éminente qu’elles avaient dans les évangiles et sont devenues une sorte de sous-continent peu recommandable » (p235). Marie a tenu lieu de figure féminine absolue, les autres ayant été balayées, Marthe et Marie étant reléguées dans deux attitudes commodes, l’active et la passive (p 237). Et A Soupa de s’insurger et d’en conclure « La masculinité du sacerdoce n’a jamais été demandée par Jésus. Pourtant, l’ordination d’une femme est aujourd’hui un péché plus grand que la pédophilie… » (p193). Quel appauvrissement par rapport à tout l’enseignement de ce livre, quelle tristesse !

 Les évangélistes ont peint une humanité foncièrement mixte. Ils ont montré à la fois la variété humaine et les liens qu’entretiennent les uns avec les autres. A Soupa conclut à sa façon « Ce n’est pas à exalter leur différence « féminine » que l’on parlera bien des femmes, mais en soulignant leur « humanité » (p239).  Reste à espérer en « l’Eglise de demain, celle qui renaîtra des ruines du patriarcat actuel et vivra de cette fraternité à laquelle les hommes et les femmes d’aujourd’hui aspirent » (p228)

Commentaire :  A plusieurs reprises les Poissons roses ont mis en avant le lien entre la crise de la société occidentale (cette fin de la parenthèse de la modernité technicienne qui a commencé au XVIIème siècle), la crise écologique, la crise qui frappe l’église catholique (avec la dénonciation par le pape François du cléricalisme et des abus sexuels, de conscience et de pouvoir auxquels il a donné lieu) et la montée en puissance des femmes, dans la société comme dans l’église. Nous vivons une période de basculement. La question n’est sans doute pas de savoir si le XXIème siècle sera religieux ou pas, mais d’affirmer très fort que ce siècle sera féminin. Anne Soupa en est une des prophètes. A ce titre, nous devons l’écouter.

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Patrice Obert