Comme une clarté fugitive – Naître, Mourir, de Catherine Chalier.

Comme une clarté fugitive – Naître, Mourir, de Catherine Chalier.

Bayard 2021

Je me suis approché timidement de ce livre, n’étant ni philosophe, ni lecteur de l’œuvre considérable de Catherine Chalier, incité par la magnifique recension d’Elodie Maurot parue dans La Croix du 16 septembre 2021, à laquelle je ne peux que renvoyer. Plus que le titre, c’est le sous-titre « Naître, mourir » qui m’a attiré. Ma conviction, en effet, est que notre société, fondée sur la conviction apparue du XVIIème siècle que « la nature est écrite en langage mathématique » pour reprendre l’expression de Galilée, continue à se développer dans le pli de cette pensée. Elle est sur le point d’accéder, après avoir sondé le tréfond des océans et les cimes du ciel et avoir fait exploser l’espérance de vie des humains, aux deux seuils de la vie, la naissance et la mort. Qui ne voit que la prochaine législature verra, sauf circonstances exceptionnelles nouvelles, l’adoption de la Gestation Pour Autrui et la légalisation de l’euthanasie ( cf ma tribune parue sur ce sujet dans Ouest-France du  6 avril 2021 (Bio-Ethique – Les Poissons Roses). Aussi, qu’une philosophe, familière de Lévinas, s’attaque à ce sujet, a piqué ma curiosité et mon intérêt.

Je sors de cette lecture enrichi et touché.

Enrichi, car il s’agit d’un livre essentiel par son audace. En effet :

  • Il associe naissance et mort dans le même regard
  • Il répond à la tentation jubilatoire du Néant et à la valorisation de la finitude humaine en osant évoquer « l’âme » et en posant notre finitude au sein d’une infinitude qui l’enracine et lui donne sens.
  • Il affirme l’unicité insubstituable de chaque vie, l’événement unique de chaque naissance et l’unicité absolue de chaque destin.  C Chalier cite V. Jankélévitch « Ce qui a été ne peut pas ne pas avoir été ». Toute vie, même très brève, est et restera unique, appelée par une parole qui la précède.
  • Il nous dévoile que cette parole de l’infini est seule capable de donner sens à notre finitude. Là réside cette « clarté furtive » qui donne son magnifique titre à ce livre. « Sans cet affleurement de l’infini à leur vie finie, les créatures humaines redeviennent poussière » (p 226)
  • Il s’interroge sur le souffle qui, chaque jour, nous fait nous lever, nous donne envie de vivre, nous ressuscite, sans mérite de notre part.
  • Il rappelle l’importance de notre nom

Catherine Chalier n’a pas peur de dénoncer dans l’introduction ceux pour qui une autonomie qui ne souffre pas de limites, confondue avec la liberté, est devenue le maître mot contemporain ; ni de fustiger implicitement en conclusion ceux qui oublient que le « tu ne tueras pas » reste un absolu.

 J’ai été touché par l’aveu que nous confie Catherine Chalier à la fin de son livre dans une conclusion où elle s’interroge sur le sens de ce monde marqué par tant de catastrophes (et d’invoquer Maurice Genevois et la grand Guerre, les massacres de la seconde et les exterminations des camps).  Cette actualité tragique (et qui hélas continue) « commande précisément que nous pensions le destin mortel de chaque personne humaine plutôt que d’en fuir l’idée sous prétexte qu’il nous fait peur ou qu’il y a décidément d’autres tâches plus urgentes qui nous attendent » (p325). Telle est la responsabilité qu’elle se donne ou qui lui incombe (p309) et qui explique, à mon sens, ce livre, finalement très personnel. Le dernier chapitre, (organisé en trois volets : Réparation/Résurrection/Responsabilité) ouvre une voie qui fait de nous, fils et fille d’Adam, les co-responsables de la création. « La force humaine dépendrait de sa capacité à accueillir la force d’Elohim, et la force de Celui-ci dépendrait de ce consentement par les personnes humaines à lui frayer une voie à l’intime d’elles-mêmes » (p 308), en écho aux paroles d’Etty Hillesum décidant d’aider Dieu à ne pas mourir en elle (p138).

Il convient de souligner le style de Catherine Chalier, sa phrase longue, nuancée, balancée, à la recherche de la précision, scrupuleuse, éclairée d’expressions poétiques, sachant exprimer l’indicible et suggérer le non-dit. Tant et si bien qu’on se sent parfois un peu illuminé et perdu.  Mais c’est sans doute le prix à payer par ceux qui désirent partager avec elle des choses importantes qui ne peuvent pas se dire en quelques phrases simples.

Je voudrais ici remercier Catherine Chalier pour toutes les réflexions qu’elle a suscitées et pour l’espérance qu’elle conforte en moi de ne pas être le fruit du hasard. Nous sommes appelés à naître et à mourir.

crédit photo bayard-editions.com

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Patrice Obert

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