Le témoin des écritures de Jean-Michel Hirt

Le témoin des écritures de Jean-Michel Hirt

Actes Sud 2021

On ne raconte pas ce court livre de Jean-Michel Hirt, on le savoure, on le laisse murmurer en soi, on s’interroge en y repensant, on cherche ce qu’il veut nous dire. La 4ème de couverture évoque « une forme d’ode ». L’image est parlante mais insuffisante. Oserais-je dire que s’y mêle du journal intime, à travers toute une série d’aveux très personnels. L’usage du « vous » renvoie le lecteur à La modification de Michel Butor. Car il s’agit aussi d’une métamorphose du narrateur, à travers sa rencontre des Ecritures, leur lecture, leur écoute, mais aussi à travers de nombreuses citations artistiques, sculpturales, littéraires, à travers également l’évocation de personnalités saisies en flash, Freud, Michel-Ange, Thérèse d’Avila, Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face, Etty Hillesum,  Christian de Chergé, Paolo Dall’Oglio ; à travers également plusieurs rencontres, notamment avec une certaine Naëlle. Le narrateur (l’interlocuteur ? la voix venue du livre ?) nous invite aussi à une réflexion sur la psychanalyse en nous convaincant de l’existence de trois réalités, la matérielle, la psychique et la spirituelle, en nous certifiant que la clé tient au renoncement pulsionnel ; l’imagination est l’organe de perception par excellence de la réalité spirituelle, créatrice des interprétations que suscite la lecture des Ecritures monothéistes. Ce livre est également une lecture en miroir de notre société, obsédée par le tangible et le visible, incapable d’appréhender l’invisible, de comprendre le travail souterrain et permanent de l’influence monothéiste dans notre monde. Ce livre affronte enfin la diversité et la succession des textes, Bible, évangile, Coran, en essayant de nous donner des clés de lecture afin d’en saisir la complémentarité, destinée à nous permettre d’approcher le mystère de Dieu. Ainsi, nous chuchote-t-il page 96 : « A cette fragilité de l’humain font écho la pudeur d’un divin dans sa relation aux hommes, son retrait comme son silence » et page 134 : L’incarnation, « ce vide abyssal du divin qui a trouvé son corps en Jésus préfigure ce que sa Résurrection signifie. Après la mort et les tourments antérieurs… s’ouvre la possibilité pour chaque âme, à la suite du Nazaréen, d’accéder à ce corps de gloire que le vide dans l’âme aura façonné tout au long d’une existence ».

Le XXIème siècle aura peut-être cette chance d’oser relire sur les plans historiques et spirituels la succession des vagues de la Révélation[1]. Ce livre y contribue, délicatement, subtilement. Est en jeu la multiplicité des interprétations des Ecritures. « C’est de la disponibilité de chacun, de la conviction qui est la sienne, en fonction de son avancée sur son chemin, vers la cime de la montagne, que le sens de telle ou telle parole biblique ou coranique va dépendre ». Cette écoute des Ecritures, au-dedans de soi, « libère, c’est elle qui délivre le cœur du mal, l’apaise en le purifiant, c’est elle qui desserre l’emprise démoniaque et permet, comme chez Paul de Tarse, de convertir l’énergie de la violence, de passer de la destruction des autres et/ou de soi à la construction de l’œuvre humaine en vous » (p 128).

Ce livre inclassable, dérangeant, poétique, si personnel, nous parle de l’âme, de l’invisible, en tressant les différentes écritures des monothéismes, « à perte de vue ».

Je me réjouis qu’il ait reçu le prix littéraire 2022 de Ecritures & Spiritualités.

Patrice Obert

Crédit photo france-culture


[1] Je m’y suis essayé, maladroitement, en 2006 dans « Modernité et Monothéismes » ; Ed. Karthala

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