Le peuple contre la démocratie – de Yascha Mounk

Le peuple contre la démocratie – de Yascha Mounk

Editions de l’Observatoire  2018

Un livre au cœur de l’actualité en cette période de contestation par les Gilets Jaunes, écrit par un américain qui est né et a grandi en Allemagne.

L’introduction, d’une trentaine de pages, est très claire et dit l’essentiel. Le lecteur pressé  aura l’essentiel du livre en la lisant. Seuls quelques points viendront en plus-value dans les développements.

Que dit l’introduction ?

Nous avons cru que nos institutions, notre mode de gouvernement, notre démocratie libérale était insubmersible. Des partis s’opposaient, des syndicats contestaient, mais personne ne remettait en cause un cadre démocratique dans lequel chacun se situait. Or, de nos jours, cette alliance entre la  démocratie et le libéralisme ne va plus de soi. La preuve : l’élection de Donald Trump, l’arrivée au pouvoir de Viktor Orban en Hongrie, la poussée des populistes dans de nombreux pays, le Brexit, (on pourrait ajouter les Gilets Jaunes).

On a des situations où la démocratie s’accommode d’une diminution des libertés, comme en Hongrie, Pologne.

On a des situations où une forme de libéralisme antidémocratique s’est installée (Etats-Unis, Union européenne). Dans ce cas, des élites se sont emparées du système politique et l’ont rendu de plus en plus sourd.

p 26 : « à présent que les convictions des citoyens privilégient l’antilibéralisme et les préférences des élites l’antidémocratie, le libéralisme et la démocratie en sont venus aux mains… Nous assistons à la naissance de démocraties antilibérales, ou démocratie sans liberté, et d’un libéralisme antidémocratique, ou libertés sans démocratie. »

Sur quoi reposait en fait cette alliance entre démocratie et libéralisme ? (p 27 et s)

1°Une augmentation rapide du niveau de vie des citoyens

2° Un seul groupe racial ou une domination d’une groupe ethnique

3° les communications de masse étaient le domaine réservé des élites politiques et financières

Dans ces conditions, il convient d’agir sur trois fronts : (p30 et s)

1° lutter contre les inégalités et répondre à la promesse de l’élévation du niveau de vie

2° repenser le sens de l’appartenance et de la participation dans un Etat-Nation moderne. Autrement dit refuser les communautarismes pour maintenir une société où chaque citoyen bénéficie de droits du seul fait d’être un citoyen, et non en raison de son appartenance à tel ou tel groupe particulier

3° résister aux effets dévastateurs d’internet et des réseaux sociaux

Y Mounk « tente de proposer une interprétation générale de notre âge politique qui repose sur quatre propositions distinctes : (p 35)

  1. La décomposition de la démocratie libérale
  2. Ce désenchantement à l’encontre de notre système politique constitue une menace vitale
  3. L’explication de cette crise
  4. Les solutions à apporter.

La première partie traite de la crise de la démocratie libérale. Le chapitre 2 est intéressant dans la mesure où il explique que notre démocratie s’est construite autour d’une aristocratie contre le peuple ( 80). Peu à peu un récit a été écrit pour faire du système représentatif mis en place le modèle démocratique (p 81) (Grèce antique, Angleterre). Mais, de nos jours beaucoup d’éléments jouent contre la volonté du peuple. Une des raisons majeures est que, « au cours des dernières décennies, les élites politiques se sont isolées comme jamais de la scène populaire » (p86).

Des illustrations ?

  • Le bureaucrate remplace le législateur : montée en puissance des Agences d’experts, des normes ; la commission européenne.
  • Les banques centrales
  • Le contrôle judiciaire (Cour suprême aux EU, Cour de Justice de l’Union européenne..), même s’il se dresse souvent en protecteur des libertés
  • Les traités et organismes internationaux
  • Le lobbying sur les parlements (p 113 et s)
  • La force du milieu ambiant (reproduction des élites, importance de l’ENA en France)

Il en résulte que « les politiciens, les universitaires et les journalistes préfèrent un mode technocratique de gouvernance car celui-ci protège leurs décisions de la volonté populaire » (p136).

Même si, et c’est vrai, le monde est très complexe (p 138), il est difficile d’imaginer un parlement mondial,  il existe de vrais contre-pouvoirs.

Y Mounk propose  (p 141) une piste : « ce dont nous avons besoin est plutôt d’inventer de nouvelles manières de réformer ces institutions de telle sorte qu’elles atteignent un nouveau point d’équilibre entre expertise et prise en compte de la volonté populaire »

Dans le chapitre 3, Y Mounk observe la désaffection des citoyens vis-à-vis de la démocratie. ( cf notamment la France P148). Ceci se confirme en Amérique du nord et en Europe occidentale où de plus en plus de citoyens contestent les avantages de la démocratie et accepteraient des solutions fortes, voire militaires. De nombreux exemples sont donnés  (Trump p 173 et s). Les jeunes s’avèrent les plus critiques à l’égard de la démocratie (p 175), ce qui est inquiétant. Il s’agit d’un phénomène nouveau et on ne dispose pas vraiment d’exemples de « sortie de la démocratie ». Le cas de la Pologne est étudié (p181).

La conclusion (p 189) est que la loyauté envers la démocratie fonctionnait tant que « le système politique maintenait la paix et remplissait le portefeuille ». Autrement dit, la paix et la prospérité.

La deuxième partie traite des origines de cette « crise de performance » de notre démocratie libérale, exposée en introduction : les medias, la chute du niveau de vie, la disparition des groupes ethniques dominants.  Il insiste sur le rôle d’internet à partir de Trump. Il aurait été intéressant d’avoir son explication sur l’utilisation de facebook par les Gilets Jaunes. Concernant la stagnation économique, il distingue la réalité objective (p 219) du discours ambiant qui porte sur « la peur de perdre ». Concernant les questions identitaires « une grande partie de la colère suscitée par les immigrés est nourrie par la crainte d’un futur fantasmé plutôt que par une frustration quant à la réalité vécue » (p 249)

La troisième partie traite des remèdes. Rien de très  majeur : avoir du courage pour se battre pour défendre la démocratie, parler le langage des gens ordinaires, porter des messages positifs, ce que Y Mounk résume  (p 277 :  « pour sauver la démocratie, nous avons besoin d’unir les citoyens autour d’une vision commune de leur avenir, de restaurer leur espoir en l’avenir économique et de les rendre plus résistants aux mensonges et à la haine qu’ils rencontrent tous les jours sur les réseaux sociaux » . Cela suppose de domestiquer le nationalisme, de réparer l’économie (pas mal de banalités sur les impôts, le logement, l’éducation, le travail). Il propose enfin de « refonder la religion civique », ce qui, comme il l’indique lui-même  ‘p 347) est « d’une naïveté touchante ». En effet, comme si c’était mieux hier…

La conclusion est d’une même faiblesse : les problèmes sont sérieux, il faudra plus de courage et accepter de grands sacrifices ( p 380)

Les limites

L’ouvrage est intéressant  dans son fil directeur. Mais tout est dit dans l’introduction. Le corps du texte ne vient qu’apporter des exemples.. De plus, dans la crise actuelle, rien n’est dit sur l’écologie, ni sur  le « manque de sens » de nos sociétés.

On regrettera par ailleurs la faiblesse des pistes. Rien de nouveau sur le travail et son évolution et notamment sur  l’hypothèse d’un revenu universel,  rien non plus sur la solidarité entre classes.

Bref, un essai assez « américain » qui , à mon avis, ne marquera pas fondamentalement l’histoire de la pensée.

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Patrice Obert

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