En tenue d’Eve, de Delphine Horvilleur

En tenue d’Eve, de Delphine Horvilleur

Grasset – 2013 / Crédit photo AFP

Un ami, Patrice Roussel, m’a récemment confié ce livre. Il a bien fait. Bien qu’il soit paru en 2013, il reste d’actualité. Après avoir lu plusieurs livres d’Anne Soupa, j’ai été très heureux de lire cette vision juive. Les deux lectures se complètent admirablement.

Dans la pos-face ajoutée en 2017, Delphine Horvilleur se définit, non comme une féministe juive mais comme « féministe et juive ». Je dirais plutôt comme « juive et féministe ». En effet, avant de nous parler de la condition de la femme à travers les textes bibliques et leurs commentaires, ce livre nous parle d’abord de la façon dont il convient d’appréhender le texte biblique.

Certes, le début du livre   nous place face à une urgence : réhabiliter la voix des femmes en cessant de percevoir le corps féminin comme une nudité exposée (p31). Delphine Horvilleur nous entraine ensuite dans une relecture du début de la Bible, ces fameux passages de la Genèse qui nous racontent les deux créations d’Adam. Interprétation chrétienne, interprétations juives, nous voici initiés (p 61) aux subtilités du Zohar.  Le vêtement dont Dieu recouvre Adam ne serait que la propre peau de l’homme, laissant entendre qu’au jardin d’Eden l’humanité était a-derme, sans membrane dermique. Ainsi, la sortie du paradis n’est pas une faute originelle, mais une « césure nécessaire, condition de la rencontre du prochain » (p66).  Delphine Horvilleur revient ensuite longuement sur l’histoire de Noé dans une lecture étonnante. « L’épisode de Noé, deuxième homme nu de l’histoire biblique, est une version rembobinée de l’histoire précédente (celle d’Adam) » (p78).

Elle développe ensuite (p87 et s) une analyse serrée de la notion du voile au regard du sacré et du désir en interrogeant la façon dont les synagogues sont construites. « L’accès au sacré est différé » (p93),  « Le désir et le sacré ont en commun de nécessiter le jeu des voiles » (p95), pour aboutir à ce constat (p99) : « le paradoxe de la révélation : le besoin d’occulter pour révéler ». Dans le chapitre suivant consacré à l’être orificiel », Delphine Horvilleur s’interroge sur la femme et sa différence d’avec l’homme. La femme, dit-elle dans des pages saisissantes (p 112 et 113), est celle qui s’ouvre en donnant la vie, qui fait de son corps un passage. « La femme est ainsi une porte ouverte entre un côté et l’autre, entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’invisible et le révélé, entre la vie et la mort ». Elle s’interroge sur tous les textes bibliques qui font de Dieu l’époux et des hommes l’épouse, constatant non sans humour que « les hommes lisent et étudient constamment des textes qui font d’eux les femmes de Dieu » (116).

Enfin, Delphine Horvilleur revient (p156) sur les deux récits de la genèse, jugés irréconciliables et écrits à des périodes différentes. Ces deux textes, demande-t-elle, ne seraient-ils pas le reflet de deux points de vue ? « L’Adam primordial est au départ divinement constitué des attributs qu’on nomme « masculin et féminin ». Mais il ne le perçoit pas encore. Et de conclure « Il revient sans doute aujourd’hui aux exégètes de faire émerger le féminin du texte… Ce féminin peut être défini comme une altérité qui se tient dans l’ombre, dans l’attente d’être révélé (p157).

On voit la richesse et parfois la subtilité de l’analyse, qui prend à rebrousse-poil, réinstalle les interrogations sur le genre et les lectures religieuses classiques, balaie les discours religieux fondamentalistes obsédés de la pudeur féminine. Mais fondamentalement, Delphine Horvilleur questionne le texte biblique, ici autour de la question de la femme, mais de façon plus générale, sur tout sujet potentiel. Le judaïsme se définit par l’étude. Elle en témoigne en citant à de nombreuses reprises le Talmud, en scrutant les significations possibles du texte. Un texte qui depuis des millénaires est commenté par des hommes pour des hommes. La clé du livre se trouve dans la conclusion, page 171 : « Apprendre à relire n’est -ce pas le cœur de tout projet religieux ? » et de citer Cicéron qui fait de relegere l’origine du mot religieux. « Le questionnement des sources et des rites, loin de tout dogmatisme, constitue peut-être la religion véritable. Le sens renouvelé d’un texte constamment revisité constitue sa seule lecture fidèle ? En cela, je peux croire » (p173). Dans la postface, elle revient sur cette question essentielle et précise « La question n’est jamais tant ce que le texte veut dire que ce que l’on fait de ce qu’on lui a fait dire ». Le texte biblique n’est donc pour elle ni féministe, ni misogyne, il « est » et il continue à nous parler. Ce qui l’amène à appeler les femmes à se saisir de ce texte   pour, inlassablement, l’interpréter et le faire vivre a contrario des fondamentalistes qui n’ont de cesse de figer l’interprétation qui les sert.

Commentaire : un livre très intéressant, qui nous plonge au cœur de l‘étude et de l’interprétation juives, et qui remet en cause beaucoup d’idées. Une fois de plus, au rebours de tous ceux qui, scrutant les textes religieux, veulent mettre en accusation les hommes et femmes de foi, ce livre met en évidence que l’essentiel de la Bible, mais ce serait la même chose pour les évangiles ou le coran, est la façon dont les contemporains le lisent et lui donnent sens.

Un petit détail noté page 56. A aucun moment la Bible ne parle de « pomme ». La traduction latine a assimilé le mal (malum) et son homonyme, la pomme (malum). « jeu de mot ou faute de lecture » se demande avec humour Delphine Horvilleur. Ouf ! nous pouvons donc manger tranquillement des pommes…

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Patrice Obert

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