Mon corps ne vous appartient pas – de Marianne Durano

Mon corps ne vous appartient pas – de Marianne Durano

Albin Michel –  2018

Marianne Durano fait partie de l’équipe de la revue Limite. C’est une intello, à la plume rapide et acérée. Elle a le sens de la formule qui fait mouche. Elle écrit cru, et on s’en régale, car c’est souvent drôle. Son livre, paru début 2018, a un sous titre qui en diminue pourtant étrangement la portée «Contre la dictature de la médecine sur les femmes »[1]. En réalité, quand on sort de ce livre- choc, on a compris bien autre chose :  le combat de la femme, dans sa maternité, est une véritable remise en cause de notre société. Cela va bien au-delà du regard de la médecine. Notre société occidentale fait tout pour éliminer la femme enceinte.

La thèse du livre est une critique de la domination technique sur le corps féminin. Lisez les 4 pages de  l’avant-propos. « J’étais soumise. Soumise au désir masculin, puisqu’il faut être désirable ; soumise au pouvoir médical, puisqu’il faut être disponible. Désirable et disponible, sur le marché de l’emploi comme sur celui du sexe. Autrement dit stérile. » (p 12). En quelques lignes, Marianne Durano synthétise notre mode de vie et son aboutissement, une société qui ne se reproduit plus, c’est-à-dire qui est vouée à disparaître.

Filons page 134 : « les femmes, à qui on avait promis l’indépendance [via les moyens techniques]  se voient soumises à une triple aliénation aux hommes, aux marchands et aux experts. Comme souvent, précarité économique et précarité affective vont de pair, les jeunes trentenaires se sentent obligées de sacrifier leur fécondité sur le double marché de l’emploi et de la séduction. Pour trouver un job, comme pour trouver un mec, mieux vaut ne pas trop écouter ses ovaires. Difficultés à construire un couple stable, raréfaction des emplois en CDI, immobilier hors de prix : autant d’obstacles à la vie familiale qu’il est plus facile d’ignorer en faisant croire aux femmes que la grossesse est une aliénation dont le travail, la contraception et l’avortement peuvent les libérer »

Ce qui concorde avec (p 19) : Contraception, avortement et PMA sont la Sainte-Trinité d’un féminisme technolâtre ».

Elle s’élève contre le rythme imposé par la société. «  Le plan de carrière idéal valorisé par notre société – études longues, pic de performance vers les 30 ans, sommet de carrière vers les 40 ans – est absolument contradictoire avec le rythme du corps féminin – une fécondité maximale avant 25 ans, une maternité qui s’étale de 25 à 40 ans, puis la ménopause…. On vous vend une pilule pour être stérile lorsque vous êtes féconde, puis on vous vend une pilule pour être féconde lorsque vous devenez stérile. C’est ce qu’on appelle une société de marché : contraintes de soumettre leur corps au marché de l’emploi, les femmes alimentent par la même occasion le vaste marché de la procréation » (p130)

Marianne Durano insiste sur le fait que le corps féminin est un corps maternel potentiel, en puissance, sinon en actes (même si bien des femmes, pour des raisons très diverses, ne seront jamais mères. « Etre mère est un état, une manière d’être au monde, pas un job parmi d’autres » (p 148)

On lira avec intérêt ce qu’elle dit du « travail invisible » ( p 153 et s) : « refonder notre société sur le foyer et non sur la finance » (p155) ; « un monde où les pères et les mères travailleraient à mi-temps pour pouvoir vivre à plein temps » (p 160) ; « travailler moins, moins loin, pour consommer moins et mieux » (p 161) ; « changer notre rapport à l’espace, c’est aussi changer notre rapport au temps » (p 161)

« L’indifférenciation, c’est l’abstraction d’un corps qui a en réalité des caractères sexuels masculins : désir constant, fécondité apériodique et sans conséquence, engendrement extérieur à soi. Ce faisant, elle convient tout à fait aux exigences d’un marché du travail qui réclame des individus interchangeables, isolés, toujours disponibles, toujours productifs. »( p 174).

On pourrait multiplier les citations : ses visites, adolescente, chez son médecin (chapitre 2), sa grossesse (ch 1), son analyse implacable d’un manuel universitaire sur les études de genre (ch 3), sa description du monde du travail des Working girls (ch 4), la façon truculente dont elle démonte un des derniers livres d’Elisabeth Badinter (p 140 et s), les dangers cachés de la contraception chimique (p195 et s), les méfaits de la PMA et de la  GPA (ch 6 et notamment p 235), sa satirique critique de nos plus grands philosophes sur la condition de la femme (ch 7et notamment p 254 et 255)

P 260 : « si on nie l’humanité du fœtus, alors la mère n’est plus qu’une génitrice, tas de chair enfantant un tas de chair. On n’a pas beaucoup progressé depuis les polémiques médiévales ». Marianne Durano en appelle en conclusion à « une écologie incarnée » pour retrouver le corps

Commentaire  personnel :

Je pense sincèrement que son livre va plus loin. A travers la revendication du corps maternel, elle remet en cause les fondements même de notre civilisation dans ses développements des derniers siècles. Vous connaissez ma thèse selon laquelle nous vivons la fin d’une parenthèse, celle de la modernité occidentale fondée sur une conception mathématique du monde. En ce sens, ce livre  est essentiel, il exprime, en étant politiquement tout fait incorrect, le malaise profond de notre époque.


[1] Marianne Durano, à qui j’ai soumis cette fiche, m’a fait savoir que le titre avait été choisi par l’éditeur. Elle aurait préféré « A corps perdu – L’aliénation technique du corps humain »

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Patrice Obert