Pour l’amour de Dieu – d’Anne Soupa

Pour l’amour de Dieu – d’Anne Soupa

Albin Michel 2021

Le 21 mai 2020, Anne Soupa se porte publiquement candidate à l’archevêché de Lyon. 8 mois plus tard, elle publie ce livre qui explique l’origine de cette candidature, ses motivations, ses hésitations et, surtout, sa vision de l’église et de la mission d’un évêque. Ce livre associe donc un aspect personnel, voire intime, qui éclaire cette décision peu banale, cette « désobéissance », et un aspect davantage intellectuel, qui repose sur une analyse des enjeux de l’église à travers une réflexion sur la Bible, les sacrements et les grandes figures qui la constituent, à savoir, le prêtre, les laïcs et l‘évêque. Disons-le d’entrée, Anne Soupa parvient à traiter tous ces immenses sujets en 200 pages, en sachant être pédagogue, en nous menant à chaque chapitre à l’essentiel, dans un style léger, facétieux, un brin insolent, en sachant exprimer sa colère – Dieu sait qu’elle en a ! – mais avec une humanité et une bienveillance touchantes. Ce faisant, elle dévoile et incarne deux autres figures essentielles dont notre église a furieusement besoin, celle d’une femme et d’une prophétesse. 

C’est dire combien ce livre est important. J’espère que les catholiques s’en empareront, que évêques, prêtres, religieux et religieuses, hommes et femmes laïcs le liront et en discuteront car il pose des diagnostics et ouvre des pistes dont nous devons ensemble nous saisir pour les discuter et les approfondir.

Le livre s’organise en deux parties, qui n’ont curieusement pas de titre. La première partie (jusqu’à la page 83) compte 6 chapitres et pourrait se nommer « Ma candidature : comment elle a surgi, pourquoi et quelles suites ». La seconde, qui compte   9 chapitres, pourrait s’intituler «La mission d’un évêque ». Elle se termine d’ailleurs par le chapitre 9 « Les 7 chantiers d’un évêque ».

Le premier chapitre de la seconde partie, le 7ème, porte le titre du livre « Pour l’amour de Dieu ». C’est le plus personnel et on aurait pu s’attendre à ce qu’il ouvre l’ouvrage. Anne Soupa dit avec une certaine pudeur « Comme des millions de chrétiens, j’ai rencontré le Christ » (p 88) ; elle cite une dédicace de son père en première page d’un livre de première communion ( p 89) ; elle nous confie l’essentiel «  aimer et être aimé » et nous livre  son objectif de vie «  tenter de faire du bien : la tâche humaine par excellence »(p95)  ; elle nous  avoue enfin son infinie confiance dans l’église à travers quelques phrases : « Je sais, par le cœur, par toute ma vie, que l’Eglise donne accès à la vie éternelle, même si elle n’est pas la seule à en détenir les clés », «  Malheur à moi si je reniais tout ce que je devais à cette Eglise, la mienne », « j’ai appris à allonger mon regard au-delà de l’immédiat et du visible » ( p 95 et  94). Le plus étrange est  que ce credo très personnel passe par le récit que Louis Massignon fait en 1908 de sa propre conversion ( la visitation de l’Etranger), et dans laquelle il cite Rûmi, le grand mystique et poète persan. J’insiste sur ce chapitre. Positionné au milieu du livre, il donne les clés de son engagement. Peut-être, un jour, osera-t-elle aller plus loin dans la confidence en nous parlant de sa propre visitation.

Je m’étendrai peu sur la première partie. La presse s’en fait largement écho. Un repas de famille au cours duquel son fils, lassé de ses plaintes contre l’église, la met au défi de se porter candidate. Le cheminement personnel de cette injonction, les échanges avec son mari et ses amis, finalement le saut dans le vide. On trouvera en annexe (p 207) le texte de son acte de candidature. Puis les réactions des journalistes, le manque de réaction de la nonciature, ses réflexions sur les traditions (p 51 et 52), qu’il ne faut pas rejeter mais au message desquelles il faut rester ouvert, son analyse non dénuée de malice des 4 attributs de l’évêque (la crosse, la mitre, l’anneau épiscopal, la croix) (p 53 à 55). Enfin la liste des objections faites à sa candidature (chapitre 5) qui se conclut par ce diagnostic radical « En ce qui concerne l’Eglise, sa structure actuelle est à bout de souffle. Elle appelle un profond remaniement dont la question des femmes est à la fois le symptôme et la maladie » (p69).

La seconde partie s’ouvre réellement page 97 avec une analyse sociologique essentielle qui tient en trois chiffres : 1,8% de la population française pratique (soit 1,2 millions de personnes), 23,5% des Français sont engagés mais non pratiquants (soit 15 millions) et 53,8% « se disent » catholiques, soit 36 millions de Français. L’institution ne s’adresse plus qu’au 1,8 %, ce qui est suicidaire. Anne Soupa, elle, veut regarder en face les 53,8% et se demande ce qui les a fait fuir : un look vieillot, un discours rabâché, un « paquet » théologique devenu incompréhensible, enfin (p 100) « la rigidité sur les questions de morale sexuelle et familiale. Tout est « non » ! ». Elle conclut ce chapitre « Ne faut-il pas un jour arrêter une machine folle qui broie l’humanité de ceux et celles qui la servent ? » (p104). Je relie ce passage aux pages 132 et 133 où elle nous parle avec une humanité bouleversante de la vie quotidienne des gens. Elle célèbre simplement dans ces quelques phrases « la sainteté de la vie ordinaire ». Cela ouvre une spiritualité de la rencontre (p131) et plaide pour l’expérience plutôt que pour le dogme (p134).

 5 chapitres se succèdent ensuite.

Le chapitre 3 ( la numérotation est liée à la partie, ce qui complique la lecture des renvois) traite du prêtre à travers plusieurs étonnements : la fonction actuelle n’a rien à voir avec ce que Jésus en disait, le manque de source au sujet d’éventuelles femmes prêtres ( p108),  l’extraordinaire adéquation de cette fonction avec les besoins du peuple catholique au fil de l’histoire, un appui inconditionnel, fondé sur le sacrement de l’Ordre, qui expose désormais l’Eglise à des risques nouveaux, notamment en terme de gouvernance.

Le chapitre 4 décrit « la maltraitance ecclésiale envers les laïcs » (p115 et s). Ils ne sont définis que négativement. Anne Soupa souligne combien les ouvertures de Vatican II ont été refermées par Jean-Paul II à travers toute une série de textes. « Penser le laïcat ne pourra se faire qu’en tempérant la structure hiérarchique de l’Eglise au profit du peuple de Dieu et en se fondant sur les charismes pour définir des fonctions » (p123). D’une certaine façon, cette défense du laïcat est le cœur de l’ouvrage.

Le chapitre 5 cherche à décrire la mission d’un évêque. Je me suis d’ailleurs fait la réflexion personnelle que je ne m’étais jamais interrogé sur ce point. L’épiscopos désigne celui qui « ouvre l’œil » pour veiller et surveiller sa communauté, la protéger et la défendre (p129). Anne Soupa souligne (p 130) qu’une candidature laïque à la charge d’évêque est conforme aux intuitions originales. Et de citer Saint Ambroise de Milan, consacré évêque une semaine après avoir été baptisé et sans jamais avoir été prêtre. Ce chapitre se clôt par l’évocation de la problématique de la messe, de surcroît bousculée par les pratiques liées aux confinements.

Les sacrements, le chapitre 6 y est consacré « Parler d’amour en temps d’abus ». Chacun a en tête, évidemment, l’immensité ravageuse des abus sexuels, « négation radicale de l’amour ». Comment, dans ces conditions, donner sens aux sacrements quand il y a eu une telle tromperie ?  Comment se fait l’intervention divine dans nos vies ? Questions essentielles, et délicates. Anne Soupa en tire une conclusion ; « Le sacrement devrait être fait pour l’homme et non l’inverse » (p148). Ceci, valable pour le sacrement de l’Ordre, devrait l’être aussi pour le sacrement du mariage (« comment s’étonner que des couples divorcés remariés quittent l’Eglise quand on voit la dureté, la rigidité d’esprit avec lesquelles ils sont traités ? » (p149). Et conduire à revoir les positions de l’Eglise en matière de sexualité mais aussi dans sa gouvernance et son leadership (p151).

Le chapitre 8 donne la parole aux  femmes. Anne Soupa leur a déjà consacré beaucoup de livres. Par conséquent, on ne trouvera pas ici une argumentation sur l’ensemble de la problématique des femmes dans l’Eglise. Son scalpel choisit un angle d’attaque, qu’elle avait largement poli dans son livre « 12 femmes dans la vie de Jésus », à savoir la façon de parler de la résurrection. Anne Soupa s’interroge devant nous pour nous confier que, finalement, «la résurrection, c’est d’aimer » et que toute expérience d’amour est une expérience de résurrection (p176). Elle s’emporte sur la façon dont l’Eglise n’a rien fait de l’hommage rendu par Jésus à « Marie de l’onction » venue répandre sur ses pieds un parfum de grand prix. Elle revisite la personne de Marie en relisant le Magnificat, véritable « discours de politique générale de la Mère de Dieu » prônant la préférence pour les humbles, les petits et rabaissant les Puissants.

La Bible s’avère ainsi (chapitre 7) son livre de vie. Performance de nous synthétiser en 16 pages ce texte complexe ! C’est un récit, par lequel Dieu aime son peuple et l’appelle, non à la perfection, mais à la sainteté. « Pour moi, dit-elle page 158, le christianisme est une promesse anthropologique. L’être humain est un être libéré. Libéré pour « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son pouvoir ». « Un homme aimanté, mû par ce qui le dépasse, heureux d’être dépassé » (p159).

Le livre se finit par le chapitre 9 qui définit les 7 chantiers d’un évêque. Listons-les en les reformulant à la marge : savoir dire OUI, créer des liens, reconnaître la place des femmes, prendre soin des gens concrets, responsabiliser au lieu de culpabiliser, préférer l’esprit à la lettre, bénir et annoncer l’évangile.

*

Anne Soupa se veut alliée du pape François quand il dénonce les ravages du cléricalisme, quand il en appelait, au début de son pontificat, à revoir le rôle des femmes, mais les choses n’avancent pas, elles piétinent. Sa candidature veut bousculer, provoquer une réaction, être une démarche d’espérance. Ce livre veut ouvrir des pistes, engager le mouvement, provoquer des prises de consciences A nous de nous en saisir pour aller plus loin !

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Patrice Obert