Desclée de Brouwer- 2020
(fiche validée par l’auteur)
Voici une réflexion salutaire qui nous aide à affronter les grandes crises actuelles (covid) et celles à venir, dominées par la crise écologique. Face à des situations sur lesquelles nous ne savons pas mettre des mots, B Perret nous ouvre un espace d’espérance, en s’appuyant sur la façon dont nos civilisations se sont construites en dépassant des catastrophes et en y apportant des réponses inédites. Ces « moments de vérité », nous ne devons pas les craindre mais les aborder positivement en nous disant que c’est peut-être l’occasion de sortir par le haut d’une civilisation axée sur le progrès matériel.
Ce livre s’organise en un avant-propos, 9 chapitres et un épilogue.
L’avant-propos dit l’essentiel en ouvrant l’appétit. B Perret explique que la crise de la covid est apparue durant la rédaction de son ouvrage, qu’il souhaitait consacrer au rôle des catastrophes dans l’évolution des sociétés, avec, en ligne de mire, la crise écologique. Il nous livre par conséquent le fruit de ses réflexions dès la page 7 « Le processus de civilisation a toujours été le résultat imprévisible de réponses apportées en situation :
- à des événements dramatiques ou
- à de nouveaux problèmes de coexistence sociale ».
Tout est dit. Dans ces conditions, il est essentiel « de prendre acte des limites de la raison politique, non pour s’en délecter, mais pour transformer en énergie morale et en créativité la conscience aigüe d’un écart entre le nécessaire et le politiquement réaliste » (p9)
B Perret est convaincu que nous n’agirons que sous l’extrême contrainte. En tant qu’intellectuel, il essaie de « dessiner les figures d’un monde possible » afin que, le moment venu, puissent être inventées des réponses à la crise que nous n’aurons pas su éviter. Mais, derrière son analyse éclairante, se profile l’ambition plus concrète de peser sur les événements à venir…qui se traduit dans son épilogue. Dans cet envoi, il écrit l’allocution que serait susceptible de prononcer un Président de la République qui, à rebours des mœurs politique mais conscient de ses limites, annoncerait au pays qu’il démissionne face à l’ampleur de la tâche. Etrange missive, qu’un candidat courageux pourrait reprendre in extenso en la retournant positivement pour en faire une déclaration étonnante de candidature, en abordant tous les thèmes cruciaux de notre époque.
Le livre de B Perret, on l’aura compris, est essentiel : la crise de la covid n’est qu’une pâle répétition (chapitre 1) de ce que sera (ou est déjà, mais nous ne le croyons pas alors même que nous le savons) celle de l’environnement. Face à ce mur que nous sommes incapables de prévenir et de penser, nous serons de toutes façons démunis. Nous pouvons nous effondrer. Nous pouvons aussi avoir l’espérance de « notre propre capacité à inventer une vie sociale » nouvelle. Voir dans ce futur menaçant « une promesse énigmatique » (p31). Nous sommes dans un moment de vérité, ce qu’il appelle une pensée apocalyptique.
Le chapitre 2 est consacré à expliquer « une situation sans précédent ». Face à l’ampleur de l’impasse écologique, est-il possible de ne pas changer de mode de vie et de système économique ? B Perret répond « NON » (p41). Il ajoute (p59) : « on ne passera pas sans rupture du capitalisme libéral à une économie fondée sur la valorisation de l’utilité sociale, les services collectifs et les « communs collaboratifs ».
Certains dénient la gravité de la situation : les climatosceptiques, les cyniques Certains affolent, comme les tenants de l’effondrement (p81 et s) ; certains ne sont pas à la hauteur, les économistes, les philosophes, les intellectuels (p91).
Et les politiques ? B Perret réfléchit aux « exigences morales de la démocratie des communs » dans le chapitre 4. Il faut en effet aboutir à une « sorte de conversion à la fois intellectuelle et spirituelle qui nous rendra capables d’inventer un système démocratique mondial fondé sur la gestion des communs » (p85). Pour cela il convient de remédier au court-termisme de la démocratie représentative, sans toutefois renier cette dernière. Une piste serait d’instituer une représentation des générations futures (p 101 et s). Il conviendrait aussi de créer une « gouvernance collective des « communs », expression qui désigne les ressources de toute nature qui ont vocation à être partagées, gérées et maintenues collectivement par une communauté » (p 102). Cette gouvernance devrait aussi être installée au niveau mondial. (p103). Comment faire en sorte de « remplacer le progrès économique par le souci des communs comme but reconnu de l’action publique » (p112), tel est l’enjeu majeur. B Perret fait un développement très intéressant sur la notion « d’émancipation » (p 113 à 121), vécue comme la liberté donnée à chacun de suivre librement ses désirs. Ceci « débouche sur la démesure et l’illimitation du désir qui sont au cœur de la société libérale (p114). « Les politiques libérales et social-libérales se sont montrées incapables de satisfaire par d’autre moyen que l’insertion dans l’économie de marché les demandes d’émancipation qu’elles ont contribué à stimuler, ce qui les a conduites dans l’impasse d’une croissance toujours plus inégalitaire et frustrante pour les perdants » (p 119).
Une autre façon de dénier cette crise est l’aventure transhumaniste ou la recherche d’une autre planète. Pour y répondre, B Perret cite et développe le Principe Responsabilité énoncé par Hans Jonas « Agis de telle manière que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » (p 126 et s). Il s’appuie aussi sur les travaux de Paul Ricoeur (p 141), de René Girard (p150, avec une synthèse très claire p 106), de Norbert Elias ( p160) – « le progrès de la civilisation a pour moteur principal l’accroissement des interactions sociales – , et de Charles Taylor (p 171).
B Perret conclut en insistant sur l’événement. Ainsi « nous ne savons ni de quoi nous serons capables quand il faudra tout changer, ni comment ce changement affectera la culture et la spiritualité » (p196). Car, et il revient souvent sur ce sujet, « nous ne pourrons inventer un monde durable sans une révolution des esprits et des cœurs » (p 148, par exemple). Cette philosophie de l’événement aurait mérité un détour par Emmanuel Mounier, qui l’avait mise au cœur de sa réflexion et de son action personnaliste.
Enfin, puisqu’il n’est pas déraisonnable d’espérer et qu’il n’existe pas de scénario politique à la hauteur de la situation, B Perret nous invite (p 201 et s) à une démarche prophétique consistant à nommer l’écart entre le nécessaire et le possible et à lui donner du sens.
Puissent nos femmes et hommes politiques, mais aussi chaque citoyen, lire et méditer cet ouvrage en vue des prochaines échéances politiques. Nous avons tous à nous élever au-dessus des contraintes du quotidien pour nous hisser au niveau d’exigence moral et spirituel exigé par la gravité des circonstances. Que chacune, chacun, s’imprègne de l’épilogue que Bernard Perret a eu le courage d’écrire.