Editions du Moment – 2015
Laurent Grandguillaume (LGG) a 38 ans. Il est député de la Côte d’Or, conseiller municipal de Dijon, co-président du conseil de simplification pour les entreprises, Secrétaire national du PS aux politiques industrielles et à l’entreprise. Il a fait voter une loi (p 145), inspirée par ATD-Quart-Monde sur « territoire, Zéro chômeur de longue durée ».
Le livre, signé personnellement par LGG (et rempli de très nombreuses références), s’organise en deux parties : la première est un diagnostic (Une voie pour comprendre), la seconde des propositions (Et un chemin pour agir).
Quelle est sa thèse et quel est l’axe de sa proposition ? Nous sommes en phase de mutation sous l’impact des technologies (les 5 chapitres du diagnostic traitent de la révolution numérique, du technocapitalisme, de la transition écologique et de la toute-puissance de l’homme, du technopouvoir) et il convient (p 121) de conclure un nouveau pacte entre technologie et humanisme. Pour cela, il convient (p 109) de construire une « grande fédération des socialistes, des radicaux, des écologistes et des démocrates », autrement dit de (p249) « promouvoir un socialisme libéral, qui concilie la séparation des pouvoirs, le soutien au travail, à l’effort et au mérite face à l’esprit de la rente et aux privilèges, la réappropriation des moyens techniques, la liberté et l’émancipation individuelles garanties par les nouvelles protections sociales, la lutte contre les inégalités qui rongent notre pacte social ». Et d’ajouter « il ne s’agit pas de s’inscrire dans l’éternelle opposition entre la gauche classique et la deuxième gauche …mais de repartir de l’humain, au cœur des choix, pour faire société ». La seconde partie explore ainsi les chemins de ce nouveau pacte social à travers 5 chapitres consacrés au travail, à l’entreprise, aux modalités du « faire ensemble » puis deux chapitres un peu fourre-tout sur l’ «Etat » et « Faire France ».
Ce livre est écrit par quelqu’un qui s’exprime (p245) «en homme libre, en libre penseur de gauche », engagé dans la politique, qui s’est appliqué le non-cumul des mandats car « être élu est une transmission dans la vie » et qui veut agir en faveur « d’une gauche réformiste et radicale ». Dans un esprit pratique, il conclut chacun des chapitres de la seconde partie d’un résumé de ses propositions sous forme d’un encadré.
Cette fiche ne se propose pas de faire une synthèse du livre mais de noter les points de convergence entre le projet de LGG et notre Manifeste de Poissons Roses « A contre courant ».
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Sur le progrès (p42) : il cite Guillaume Bachelet , lequel écrivait en 2013 « A gauche, le combat pour le progrès est inséparable du débat sur ses limites. Sans limites, le progrès dégénère »
Sur l’individu face aux nouveaux pouvoirs numériques (p50) : « l’individu est isolé et visible , alors que le pouvoir est devenu indiscernable et invisible ».
Il interroge fortement les impacts de la « robolution » sur le capitalisme, dénonçant ceux dont le seul horizon est « l’absence de règles, de normes et de protections » (p63), défendant pour sa part la conciliation entre « simplicité, flexibilité et sécurité ». Il s’interroge sur les nouveaux travailleurs indépendants, notant le choc entre (p71) le salariat et le « digitariat ». Si le technocapitalisme génère de nouvelles activités, il détruit des emplois et crée de nouvelles inégalités ( p69).
Il acte la mutation écologique et retient que nous sommes entrés dans « l’Anthropocène ( p78) et que la préservation de la planète est désormais en jeu. Pour y répondre, il cite Gandhi « la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans le fruit » et Jacques Ellul « penser global, agir local ».
Le technopouvoir remet en cause la démocratie : référence à la fracture territoriale (p92 et s), à l’insécurité culturelle de Laurent Bouvet ( p95). Il cite longuement (p 100) la thèse de Alain Supiot sur « La gouvernance par les nombres » publié en 2015, s’inquiétant (p102) que la puissance des ordinateurs puisse remplacer demain l’idéologie et la religion dans le contrôle et l’influence des comportements humains, voire se mettre à leur service. (ce qui mériterait pour le moins quelques explications). Cette technologie envahissante peut être l’alliée du capitalisme ou, appropriée par les citoyens, devenir un levier de transformation de la société (p104).
Face à ce diagnostic sur l’impact, dans tous les domaines, de la révolution numérique, LGG conclut donc dans la nécessité de réconcilier technologie et humanisme. Compte tenu de son parcours (maîtrise de sciences économiques à l’université de Bourgogne, travail dans le secteur de la grande distribution puis dans un grand établissement financier avant de rejoindre l’équipe de Francois Rebsamen), ses propositions visent surtout le monde du travail et l’entreprise.
Ainsi, il défend vivement le Compte personnel d’Activité (CPA) (p 139 et s) et les droits de la personne (p142) afin de « permettre à chacun d’avoir une liberté de choix dans la conduite de sa vie professionnelle », ce qui le conduit à proposer, au titre des « solidarités collectives », un revenu contributif qui s’inspire du revenu d’existence ». C’est dans la même logique de sécurisation qu’il évoque (p 145 et s) le projet « territoire Zéro chômeurs de longue durée » au titre des « utopies réalistes ».
Il rappelle (p 158) qu’il a créé en 2014 un cercle de réflexion à gauche sur l’entreprise « Entreprendre à Gauche » en sollicitant une dizaine de parlementaires de gauche. Pour lui, l’entrepreneur, « nouvel Hussard du XXIème siècle » (p 159) est un citoyen engagé avec trois empreintes, économique, environnementale et sociale, ce qui le conduit à défendre la notion de Responsabilité Sociale de l’Entreprise (p 106 et s). Il défend les accords d’entreprise, engage les organisations syndicales et patronales à se rénover profondément, tout en revalorisant l’engagement syndical.
Dans le troisième chapitre des propositions, il développe longuement la notion de « Communs », qu’il distingue, en référence à l’économiste Benjamin Coriat, des « Biens communs » (172 et s). Les Biens communs de l’humanité sont les océans, les fleuves, l’air, les forêts, etc.. Les Communs représentent « une voie entre l’Etat et le marché, entre la propriété privée et la propriété publique. C’est une construction sociale où la communauté définit les droits d’usage, dont l’accès, le partage et la circulation. » Au rebours de l’économie marchande (brevetage du vivant, durcissement de la propriété intellectuelle, etc..), les Communs renvoient aux plateformes d’échanges, aux logiciels libres, à l’auto-partage, à l’accès libre à la connaissance (p174).
Il évoque, mais rapidement, l’économie circulaire (p181) l’économie sociale et solidaire (p182), l’auto-production (p185).
Les deux chapitres suivants balaient toute une série de sujets sans les approfondir.
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: Beaucoup de points cités par LGG se retrouvent dans A contre courant : le diagnostic d’une gauche déboussolée, la nécessité de concilier liberté et sécurité, l’idée du revenu de base, la défense du métier d’entrepreneur, la réflexion sur l’entreprise, la mutation écologique, le souci de l’égalité, d’une réforme fiscale, etc…
On reste par contre un peu sur sa faim dans ce qu’il écrit sur la France, sur l’Etat, sur l’Europe (celle-ci apparaît à trois reprises (p139, 189 et 216), une fois pour regretter l’absence d’Europe sociale et « préférer une Europe sociale à dix nations plutôt qu’un chaos social à près de trente nations », une seconde fois en quinze lignes pour regretter qu’elle soit devenu un marché et non une société, une dernière fois pour revenir en une page sur ses incapacités.
Plus fondamentalement, peut saluer l’engagement de ce jeune député, son souci de synthèse et de proposition, même si on peine à discerner ce que signifie pour lui cet humanisme qu’il convient de réconcilier avec la technologie. Les trois pages qu’il y consacre (p 241 -243) restent « légères » : favoriser l’« agir en commun », dépasser le « vivre ensemble » par « un projet et un avenir communs à travers la République et la laïcité » et résister en créant. Et de conclure, en citant Stéphane Hessel : « l’homme n’a pas besoin d’autre chose que de lui-même. Il n’a pas besoin d’un guide suprême, d’un dieu unique ou d’un gouvernement qui indique tout ce qu’il faut faire. C’est à lui de décider ce qui lui paraît compatible avec sa foi dans l’homme ».
Mais quid de ces limites qu’il citait au début ? Quid du fondement permettant de réinventer l’humanisme ? je crains que ce souci – louable – de maîtriser l’évolution technologique soit à lui seul un peu court pour s’opposer à tous les risques qu’il entrevoit avec lucidité.