Comment m’est venue l’idée – ou l’envie ? ou la nécessité ? – d’écrire cette fiche de lecture en rapprochant deux livres qui n’ont aucun rapport ? Je l’ignore. Sans doute cela tient-il à la magie de ces deux livres, si disparates, mais qu’un lien mystérieux unit.
L’un, de 550 pages, est un épais roman de ce grand écrivain japonais, Haruki Murakami, qui sait nous emporter en quelques lignes dans « une ambiance ». L’autre, de 177 pages, est un essai philosophique de Jean-Michel Besnier, qui s’interroge sur le sens des choses et nous invite à une histoire des objets, jusqu’à ces derniers gadgets que sont les portables et ceux de demain, qui seront nourris d’intelligence artificielle.
Marcher en compagnie du jeune héros, c’est entreprendre un voyage mystérieux vers une cité aux rites immuables et aux murs qui se déforment dans un temps immobile, qui nous amène à côtoyer des personnes venues d’ailleurs, voire revenues de la vie. Ici/là-bas ? Où se trouve la réalité et comment passe-t-on d’un état à l’autre ? Et si le mur qui entoure la cité n’était que la conscience qui définit chacun en tant que personne ? Qu’est-ce donc que la vie dans ce cas et comment franchir cette enceinte qui enferme la cité tout en se dérobant ?
Marcher en compagnie de Jean-Michel Besnier, c’est soudain prendre conscience de ce qui nous constitue humain et se révèle des sources de fragilité : la liberté, la volonté, le désir, la sexualité, quand l’objet, d’apparence si solide et immuable, nous entraîne vers le métaver, ce monde qui nous évite de naître et mourir, qui nous décharge de toute responsabilité et nous dispense de distinguer le vrai du faux, le bien du mal. JM Besnier nous retrace les trois étapes historiques, celle qui décrit les propriétés du solide, celle qui découvre l’énergie comme clé d’explication de la réalité, celle enfin qui subordonne tout objet au concept d’information. Et de citer Heisenberg qui écrit « La réalité se tient d’abord tout autour de nous comme une connexion continue en fluctuation constante ». Et de caractériser un objet par la réduction de ses fonctions quantique d’onde, ce qui reste un exercice aléatoire. Nous voici dès lors face à des « robjets », ces objets-robots qui non seulement prolongent certaines fonctions, mais nous transforment dans notre rapport aux autres, au monde et à nous-mêmes. Notre dépendance aux objets nous trahit comme esclave, témoin, complice et partenaire. Et il nous vient à l’idée qu’il serait tellement plus simple de devenir un objet, indéfiniment remplaçable, perfectible, voire éternel, finalement, il suffirait d’abandonner notre conscience et notre intériorité, parfois si pesantes…
En discutant avec M Koyasu, en travaillant aux côtés de la jeune fille, en côtoyant le jeune Yellow Submarine, le lecteur que je fus perdais pied. Reposant le livre, je me demandais où j’étais, de quel côté de cette cité aux murs incertains – quel étrange titre !- – je me trouvais, dans quelle réalité je déambulais.
Je suis sorti de ces deux livres avec le sentiment étrange de faire partie d’un univers qui me dépasse tellement. Chacun de nous essaie de comprendre pour se rassurer sur son rôle dans cette réalité qui nous échappe. Peut-être nous revient-il seulement de trouver notre place, et encore. Désormais, quand je marche dans la rue, il m’arrive de chercher à savoir si mon ombre m’accompagne ou si je chemine dans la cité.

Très belle méditation Patrice. Où sommes nous ? Où allons nous ? Au delà de la Cité l’immensité, l’infini, l’invisible nous dépassent. Ne nous sommes nous pas déjà en chemin ? Et qu’est ce qui vaut d’être vécu ?