Il y avait Hadrien de Marguerite Yourcenar ; désormais il y a aussi Galla Placidia, d’Anne Soupa. ( au Cerf- 2025)

Il y avait Hadrien de Marguerite Yourcenar ; désormais il y a aussi Galla Placidia, d’Anne Soupa. ( au Cerf- 2025)

Car l’ambition est la même : mettre au cœur d’un récit la vie, les réflexions, les amours d’un personnage central, ici un Empereur en droit, là une impératrice de fait, à un moment historique central, ici l’apogée de l’empire romain, là sa chute. Et, à travers ce personnage hors du commun, faire palpiter une époque grâce à un style fort et une formidable évocation des mœurs de cette époque charnière, intrigues, complots, renversements d’alliances. Tout en adressant au lecteur contemporain des clins d’œil afin qu’il relise les contradictions de ces temps lointains au regard des incohérences du nôtre.

Galla Placidia n’est pas Hadrien, l’empereur en majesté. On ne la connaît pas. Je n’avais jamais entendu parler d’elle.

Galla Placidia ne parle pas du « Je » souverain de l’empereur. Mais Anne Soupa prête sa sensibilité et  la  justesse de ses remarques de femme aux propos, gestes, courroux et désirs de résistance, de cette étrange régente,  née à Constantinople, ballottée entre les rives occidentales et orientales de l’empire romain, toujours blessée, toujours renaissante, mariée deux fois, veuve deux fois, capable de tenir tête aux généraux les plus fous et à ses enfants disruptifs, ouverte aux conversations les plus subtiles sur la nature du Christ et l’appel du christianisme  avec les théologiens les plus sagaces et les papes de Rome, confrontés aux hérésies multiples venues de cet Orient multiple et  bigarré.

On se perd un peu dans ces noms romains à consonnance goth, dans ces descendances adoptives entre lignées orientales et occidentales, dans cette profusion de Théodose, Eudocia, Eudoxia, Aetius, dans ces vagues barbares de Vandales, Alémans, Goths, qui déferlent sans arrêt sur le limes romain, attaqué, grignoté, bousculé, défendu puis perdu, reconquis puis dévasté, finalement vaincu. On se perd aussi dans une chronologie compliquée, malgré les repères de la page 261, chronologie qui aboutira en 476 après JC à cet événement énorme, colossal, démesuré de la chute de Rome.

Je me suis demandé pourquoi Anne Soupa, que l’on sait bibliste engagée pour la cause des femmes dans l’église – n’a-t-elle pas créé avec Christine Pédotti le comité de la Jupe en réponse aux propos déplacés de Mgr Lustiger ? – , que l’on connaît militante des droits des baptisé-e-s face au pouvoir clérical – n’a-t-elle pas fondé, avec la même Christine Pédotti la Conférence des Catholiques Baptisés Francophones, aujourd’hui présidée par Paule Zellich ? – , n’a-t-elle pas suscité la création des Baptisé-e-s du grand Paris, présidée désormais par Claudine Bénard ? – , n’a-t-elle pas osé candidater à l’archevêché de Lyon au départ de Philippe Barbarin ? -, dont on se délecte des livres sur les femmes dans la vie du Christ, sur l’interprétation de la création d’Eve dans la bible et sur le regard féminin pour bousculer des siècles et des siècles d’interprétation masculine de la Bible, Amen ! Donc, je me suis demandé pourquoi Anne Soupa, cette femme du XXIème siècle, française, cette mère et grand-mère de famille, avait choisi de consacrer tant d’années de sa vie à accumuler des données et finalement écrire ce livre de 250 pages sur cette autre femme, Galla Placidia, inconnue et pourtant femme-pivot, méconnue et pourtant si forte et si lucide, à cette époque dramatique de basculement de l’histoire.

 La 4ème de couverture nous donne deux ouvertures : le destin de cette femme exceptionnelle nous aiderait à comprendre comment gérer les migrations de grande ampleur de notre époque, d’une part ; d’autre part, cette femme aurait posé les fondements d’une lointaine chrétienté médiévale. Certes, elle est confrontée aux multiples invasions venues de l’est. Certes, elle s’entretient souvent avec de hauts responsables de l’église au sujet de la nature du Christ, en cette époque de controverses qui aboutiront aux grands conciles de Nicée-Constantinople. Je ne vois pourtant pas dans ces deux indices la raison de ce livre.

La question qui se pose à notre époque, à nous qui sommes issus et héritiers de la culture européenne et de la civilisation occidentale, est de savoir ce qu’il survivra de cette civilisation dans un monde de 10 milliards d’humains – demain -, alors que l’Inde et la Chine dispose chacune de plus de 1,5 milliards d’habitants et que l’Afrique atteindra bientôt les 2,5 milliards. Et, au cœur de cette question, une question plus intime, qui traverse le livre, est celle de l’avenir de la parole chrétienne. Au Vème siècle, le message évangélique survivrait-il à la chute de l’empire romain ? Demain, si le cas advenait, le message évangélique survivrait-il à la chute de la civilisation occidentale ? Tel est à mon sens le véritable propos d’Anne Soupa. Propos subversif, quasi iconoclaste, mais qui oblige chacun à se positionner comme fils de l’évangile du Christ ou comme dépositaire d’une civilisation devenue le symbole de la technique rayonnante et de l’accaparement de la raison. C’est pour cela, pour cette interrogation essentielle qu’il faut lire le livre d’Anne Soupa, éternelle provocatrice sous ses airs raisonnables, intelligence prophétique sous ses airs de gentille grand-mère, parce qu’elle murmure à notre oreille des choses essentielles sur le ton de brise de la confidence.

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Patrice Obert