Les Invisibles de la République de Salomé Berlioux et Erkki Maillard

Les Invisibles de la République de Salomé Berlioux et Erkki Maillard

Fiche de lecture rédigée par Roland BAILLET. Roalnd est membre des Poissons Roses. cette fiche est à mettre en regard de notre Enquête sur les Invisibles de la République publiée en 2021 au Cerf.

Editions Robert Laffont

Le titre et les interviews des auteurs dans les medias ont attiré notre attention. C’est un livre d’actualité qui focalise sur les jeunes de la  France qualifiée de « périphérique » dont il est dit qu’ils n’ont pas les mêmes chances de réaliser leur potentiel que leurs camarades des grandes métropoles. « Une jeunesse qu’on n’identifie pas et qu’on ignore pour ce qu’elle est ». Le livre  est écrit par les créateurs d’une association « Chemins d’avenirs » qui informe et accompagne des jeunes issus de zones isolées. L’ouvrage propose, dans sa seconde moitié, des solutions pragmatiques ou des pistes issues de cette expérience associative.

Introduction

L’introduction donne l’essentiel du message : 60% des jeunes vivent dans les territoires (villes petites et moyennes, villages, espaces ruraux). « Eloignés des grandes des grandes métropoles et des circuits de la mondialisation, ces jeunes manquent de tout pour affronter l’avenir » : moyens de transports, réseaux, opportunités, formations diversifiées, accompagnements. Des mécanismes d’autocensure  limitent les capacités et aspirations dans des milieux défavorisés et des territoires fragiles économiquement. Et ces jeunes affrontent un  parcours d’obstacles dirimant : fracture digitale, carence d’informations, méconnaissance de certains codes, absence de formations spécialisées à moins de 50 km. « Nous avons voulu écrire ce livre parce qu’aucun ouvrage ne donnait jusqu’ici la parole aux jeunes de la France périphérique. Aucun ouvrage  pour décrire leur quotidien, leurs contraintes. Aucun pour alerter sur la gravité de leur situation et les risques qu’elle comporte » (p14).

A travers 15 chapitres on peut distinguer une première partie qui fait le constat d’une situation critique et déficiente qui limite,  pour les jeunes de ces territoires, les chances de trouver leur voie professionnelle et leur équilibre personnel et social.

Après un exposé du parcours personnel de l’auteure (chapitre 1), Salomé Berlioux (originaire de Neure 182 habitants dans l’Allier -études  supérieures à Sciences Po jusqu’à conseiller à l’Elysée puis fondatrice de Chemins d’avenir) sont décrits les obstacles rencontrés par les jeunes de la France dite périphérique à partir de plusieurs histoires individuelles, de  témoignages de jeunes, professionnels, éducateurs, psychosociologues, géographes, directeurs  d’établissement scolaires, enseignants etc.. Le tableau est largement documenté par la référence à des études parcellaires par exemple de France Stratégies ( ex : Dynamiques et inégalités territoriales) de l’INSEE, de géographes ou sociologues- H Le Bras (ex La France inégale) – B. Coquard (Que sait-on des jeunes ruraux ?) etc… Sont ainsi identifiés

  • L’assignation à résidence des jeunes de la France périphérique (chapitre 2) du fait :  du maillage insuffisant des transports en commun et fermeture des lignes SNCF limitant de fait  l’accès aux lycées ou aux études supérieures, de la question du logement et du manque de ressources financières, du manque d’accès à l’information, de la dépendance familiale et de la reproduction sociale,  des conséquences psychologiques du déracinement …
  • L’éloignement des ressources éducatives et activités extra scolaires ( culture ,sports,  loisirs, engagements associatifs….) et la réduction des choix possibles – par exemple pour le lycée mais aussi pour les établissements supérieurs –à la différence des jeunes des banlieues- l’absence de formation métiers du fait du petit nombre d’entreprises locales
  • La difficulté à trouver du travail (chapitre 4) et la fréquence de situations de précarité ou de fragilité économique et  sociale ou de chômage
  • Les ravages de l’autocensure (chapitre 5): la façon dont les jeunes se perçoivent, sont perçus ou se sentent perçus les poussent à intérioriser une  forme d’incapacité à accéder à certaines études ou professions  et  à se projeter dans l’avenir.
  • Le décalage entre les établissements d’enseignement périphériques et les exigences des établissements des grandes villes et les différences selon les territoires des aspirations sociales des parents pour leurs enfants – souvent liées au taux de diplômés du supérieur
  • En matière d’orientation, les difficultés de l’accès à l’information (chapitre 7)des jeunes et de leurs familles  à une information adaptée et «  incarnée »
  • La fracture digitale (chapitre 8): couverture haut débit insuffisante (60 à 65 % du territoire, défaut d’équipement dans les classes défavorisées, manque d‘apprentissage et de méthode pour utiliser internet, les compétences acquises dans le récréatif ne suffisant pas pour avoir accès à la bonne information

A la charnière de la seconde partie les auteurs soulignent les risques de délitement de la cohésion nationale et de fracture sociale, induite par ces disparités territoriales et sources de frustrations et de désespérance. Ils appellent à un changement d’optique considérant que le problème est plus politique que statistique, dénonçant la réticence d’une partie de la fonction publique : «on ne va pas multiplier les politiques pour des catégories qui n’existent pas » déclare un haut fonctionnaire (p130).  Les auteurs préconisent une meilleure connaissance – sur le modèle des études sur les zones défavorisées des banlieues- et une reconnaissance des territoires et de leur jeunesse (comme le souligne également le géographe C. Guilluy) et  partant, un débat politique qui se concentrerait sur le terrain des mesures à prendre.

La seconde partie expose les initiatives « micro »  qui peuvent être prises pour relayer et ancrer les actions politiques dans les zones isolées. C’est évidemment pour partie les recettes et retours d’expérience de « Chemins d’avenir ». Ainsi du mentorat (ou parrainage ou tutorat chapitre 11), c’est-à-dire un accompagnement personnalisé, régulier et durable des jeunes par des structures associatives et/ou des entreprises. Ainsi de la mise en réseaux ou de la fédération des intervenants sur le terrain pour promouvoir de nouvelles actions: administrations, associations, entreprises. Ils insistent sur la nécessité de mettre en œuvre une action vis-à-vis des jeunes de ces territoires autour de quatre axes ( chapitre 12): informer, accompagner, responsabiliser ( en contrepartie d’une aide encourager les bénéficiaires à s’engager au profit de la société), promouvoir :  par la médiatisation, la mise en œuvre de parcours – sur l’exemple des stages ouverts aux jeunes de troisième des quartiers défavorisées – ou de formations spécialisées, de  coaching  ou d’ateliers d’empowerment. S’y ajoute un encouragement à la mobilité spatiale et sociale qui reprend ce que recommande France Stratégie pour combattre les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur. La  fin de l’ouvrage s’ouvre sur la demande de création d’une Agence nationale de cohésion des territoires sur le modèle du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) et son expérience acquise dans la construction de contrats  de plans Etat-régions.

Commentaire personnel :

L’ouvrage a évidemment bénéficié du projecteur médiatique  mis sur les disparités territoriales soulignées à l’occasion de la crise des « Gilets Jaunes ». Mais si les GJ se sont manifestés, les jeunes  se sont ils pour autant mobilisés ? Les a –t- on entendus ? C’est le principal intérêt du livre que d’attirer l’attention sur la situation des jeunes ruraux. Plusieurs constats ne sont pas inconnus mais remis en situation. Jusqu’ à quel point cependant les institutions peuvent –elles prendre en charge les destins individuels ? L’accent n’est pas assez mis sur la nécessité du développement économique  et en priorité le développement d’un tissu économique local, pour résoudre les problèmes d’insertion et de compétences dans les métiers traditionnels et d’avenir des territoires. On touche encore une fois aux limites de l’Etat Providence et de ses outils dans le contexte de la mondialisation. Les solutions proposées ne seraient –elles pas plus convaincantes pour le plus grand nombre si elles venaient en complément d’une politique d’aménagement du territoire plus volontariste et en lien avec les acteurs locaux  pour favoriser la prise d’initiatives individuelles et collectives ?

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Patrice Obert

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