Le temps de l’homme, pour une révolution de l’écologie humaine – de Tugdual Derville

Le temps de l’homme, pour une révolution de l’écologie humaine – de Tugdual Derville

Plon 2016

Livre très clair, puissant, très bien écrit. L’introduction pose bien le problème : comment faire face au fantasme d’un « homme dépassant l’homme » qui se développe  dans les pays anglo-saxons ancrés dans l’utilitarisme et dans certains pays d’Asie où l’individu s’efface devant la communauté, ainsi qu’en France, marquée par les thèses des « déconstructeurs » ?

Trois parties affichées pour y répondre.

  1. aux sources de l’écologie humaine
  2. le réveil français
  3. l’urgence de l’écologie humaine

 En fait, l’ouvrage est construit sur trois discours.

  1. le premier parle du socle anthropologique (chapitre 1 et 2 et début du 3 : maternité, famille et altérité sexuelle) et de la nature de l’écologie humaine (chapitres 7 et 8). C’est le cœur du livre.
  2. le deuxième regroupe les deux premiers chapitres de la seconde partie autour de la lecture du mouvement La Manif pour Tous et du rôle spécifique de la France.
  3. Le troisième regroupe les chapitres 3 et 6 et la conclusion : il traite de la nature du mouvement LMPT et de son cheminement à venir. C’est le moins intéressant.

Arrêtons-nous donc d’abord sur le deuxième discours.Il traite de la France et plus particulièrement du réveil qu’a constitué la Manif pour tous. Le chapitre 4 traite de la « force d’un mouvement social » avec des passages étonnants sur la rue (p 119 et suivante), avec une description des réactions politiques au mouvement (p 125 et s). La loi Taubira, emblématique ( « elle accélère ce glissement vers un totalitarisme technologique dicté par les individus : deux hommes ou deux femmes exigent de la technique de leur fournir l’enfant que la nature leur refuse, sans respecter l’intérêt l’enfant » ( p 141).Le chapitre 5 traite de la France. Superbe portrait (p 148 à 169) : France des paysages, de la culture agricole, pays de marque humaine, une et attirante, pays d’histoire  et de culture et donc « pays de la personne ». « Si la France est le pays de la personne, c’est qu’elle reste encore, pour le moment, celui de la dignité » (p160 et p 162/163, en quoi la France résiste à toute marchandisation du corps humain). France enfin, pays de la femme (p164 et S), en quête d’universel ( p 166 et s). Cette France, dont « la vocation est d’être utile au monde et de mettre ses compétences au service de la planète –( F Hollande p 170), cette France enracinée dans le judéo-christianisme , se voit défigurée depuis 1968 (cf p 180)et la révolution de la déconstruction libertaire (p175) qui se traduit par une posture atypique des Français sur la religion, la vie , la morale. Sur ces sujets, les Français sont les plus libertaires, laïcistes et relativistes du monde. (p176). Pour Tugdual Derville, ce travail de déconstruction se traduit par un oubli de la mémoire et une perte de son identité  profonde. P 178 « le pays de la personne est aussi celui de sa plus virulente déconstruction ». Ceci explique le réveil qu’ont représenté les grandes manifestations des années 2013/2014.

Le troisième discours, moins fort, défend dans le chapitre 6 deux idées relatives à la force du mouvement engagé :  il se développe comme un mycélium : la boussole de l’écologie humaine est (p 195) « tout l’homme et tout homme » . Sa lecture est continuée par le dernier chapitre et la conclusion. Le ch 9 s’intitule « Vivre dans la vérité » ; Il présente les principes d’un débat bienveillant. (p 298 et s)

Revenons donc maintenant sur le premier discours qui est centré sur l’écologie humaine. La première partie traite des sources : la maternité, la famille, la séparation entre hommes et femmes. Dans le chapitre 7, T Derville traite des menaces sur l’humanité puis, dans le chapitre 8, chapitre majeur, de la solution que représente l’écologie humaine.

Superbe chapitre 1 sur la maternité, fondatrice de l’anthropologie du don (p32) selon laquelle l’être humain est fait pour (se) donner. Ce chapitre évoque également les atteintes à la maternité avec la maternité éclatée (p34 – fécondation in vitro en février 2015), les mères porteuses (p 36), le démantèlement de la maternité (p41),  l’utérus artificiel p48).

Le chapitre 2 commence ainsi «  Appelons famille l’écosystème dans lequel l’enfant naît et grandit ». Eloge de la fragilité (p58), rôle irremplaçable du père (p 62), répudiation des femmes dans la société individualiste (p64), famille socle de la société (p69 et s), famille durable, socle de la vie en société (p70), solidarité intergénérationnelle (p71), coût de la non famille (p 71), amour gratuit (p73) famille qui « recueille, accueille et prend soin » (p 75), famille élargie avec le rôle essentiel des grands-parents, oncles et tantes, avec une critique de l’intrusion étatique  symbolisée par les propos de Vincent Peillon et Najat Vallaud-Belkacem ( p 84 et 85).

Le chapitre 3 s’élève contre la déstructuration d’une sexualité organisée entre hommes et femmes. P 89 « L’écologie de l’homme considère la relation sexuelle entre un homme et une femme comme la clé de voûte de l’organisation sociale parce que l’enfant a besoin de vivre entre ses deux parents  ». C’est la position forte de T Derville. Son analyse consiste à montrer les menaces contre ce modèle. Les impacts de la pornographie (p91) soulignent l’incohérence d’une société qui érotise l’espace public et prétend protéger contre les agressions sexuelles. Il dénonce le « grand fantasme unisexuel » (p 92) marqué par la volonté de se débarrasser de l’altérité sexuelle et notamment  des hommes. Tout ceci aboutit à une désacralisation du sexe (p105)

Le chapitre 7 est très intéressant.   «L’homme fragile face à l’homme augmenté ». T Derville y dénonce le totalitarisme technologique qui se traduit dès maintenant par un eugénisme de fait. La volonté de perfection génétique aboutit à la volonté d’améliorer l’espèce, à travers celle de vaincre la souffrance (p207). Sur les induits de la PMA (p 210 et s). Sur l’élimination de tout handicap (p214). Sur la perspective de modifier un génome au stade embryonnaire (p217) et les risques de transmettre un gène humain mutant. P 221 : « il a suffi de faire sauter le verrou originel – affranchir la procréation de la relation sexuelle – pour ouvrir le champ des possibles et prétendre tout dépasser. Ou tout casser ». Phrase clé pour comprendre l’analyse de T Derville. Elle lie les deux démarches : la remise en cause de la famille fondée sur la mère et le père et les dangers d’un eugénisme qui prétend créer un homme- Dieu (p222 et s). Si l’homme est réductible à son cerveau, lequel n’est qu’un superordinateur (p 227), alors tout est effectivement envisageable. Cet eugénisme est contraire à la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine » (p234). Il exclut l’hypothèse de Dieu et l’origine divine de l’homme. Il repose sur la conviction que «l’esprit émerge de la matière en ce sens que la matière ou le cerveau produit l’esprit » Henri Atlan, cité p 236.

Le chapitre 8 présente l’écologie humaine. Il est essentiel.

 Tout d’abord, T Dervile énonce les 7 bras de fer anthropologiques (p241)

  1. La gestation corporelle doit être préservée  contre le risque d’utérus artificiel
  2. La famille durable doit être protégée contre l’atomisation hyperindividualiste
  3. Défendre l’altérité sexuelle dans l’engendrement contre la neutralisation du genre
  4. Reconnaître la vulnérabilité des êtres
  5. La chair biologique doit primer sur la machine
  6. Reconnaître la soif de transcendance de l’homme
  7. La conscience personnelle, clé de la véritable liberté personnelle

« Etre de relation, l’homme est relié… L’identité personnelle ouvre à la fraternité universelle » (p248). Il faut secourir le Politique, qui est déconsidéré et débordé par cette révolution technologique (p249). La page 251 est une excellente synthèse du livre. « Une société d’écologie humaine est portée par trois piliers : le parti pris de la bienveillance, la recherche des communs, la culture de la vulnérabilité. Ces trois piliers sont eux-mêmes fondés sur le socle anthropologique à préserver. La bienveillance prend sa source dans l’écosystème originel de l’homme : gestation et famille. Le tout premier « commun », origine de chaque vie, est le « sexus » : la parité homme-femme dans l’engendrement en est témoin et dépositaire. La vulnérabilité enfin est humaine, avant même l’erreur. Elle se manifeste dans les trois événements universels qui marquent le destin de chaque être humain : sa conception, sa naissance et sa mort. La fraternité universelle émerge de ces événements qui manifestent notre commune vulnérabilité »

T Derville reprend ensuite chacun de ces trois piliers.  On note notamment sur les communs (p 256). Aucune personne ne peut s’approprier un commun, chacun y contribue, l’enrichit. Sa gestion implique une autolimitation concertée, un système de rotation dans l’utilisation de la ressource, des modes de conciliation en cas de conflit. Ceci renvoie à une société de la confiance, notamment vis-à-vis de la planète (p254). La vulnérabilité fonde les trois primautés qui protègent l’homme  de l’individualisme : primauté de l’être sur l’avoir, de la relation sur l’activité, de la tendresse sur l’autonomie (p261). Autrement dit, l’autonomie totale est un leurre, alors même que notre société élitiste, à tous les âges de la vie, pousse ses membres à faire semblant d’être forts ( p259). On ne s’étonnera pas de trouver parmi les auteurs cités, Pierre-Yves Gomez, le pape François, Pierre Rabhi, José Bové, Vaclav Havel.

La conclusion du chapitre 8 vaut, à mon sens, conclusion du livre : « Entre l’homme-Dieu, que sa toute-puissance ferme à la transcendance, et l’homme vulnérable qui lui reste ouvert, le bras de fer est eschatologique. Le temps de  l’homme est un défi des temps derniers. Celui de l’écologie humaine. » (p266)

NB Je note toutefois dans la conclusion générale la notion de « sacralité du corps » p 304.

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Patrice Obert

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