Le personnalisme – d’Emmanuel Mounier

Le personnalisme – d’Emmanuel Mounier

Ed Puf 1949

La première partie traite des structures de l’univers personnel

Le personnalisme est une philosophie. Son affirmation centrale étant l’existence de personnes libres et créatrices, il introduit au cœur de ces structures un principe d’imprévisibilité qui disloque toute volonté de systématisation définitive p8

La personne est  « une activité vécue d’autocréation, de communication et d’adhésion, qui se saisit et se connaît dans son acte comme mouvement de personnalisation. » P10

Apport décisif du christianisme : p13

  • L’Être suprême, qui porte à l’existence par amour les personnes, ne fait plus l’unité du monde par l’abstraction d’une idée, mais par une capacité infinie de multiplier indéfiniment ces actes d’amour singuliers
  • L’individu humain n’est pas le croisement de plusieurs participations à des réalités générales (matière, idées, etc..) mais un tout indissociable dont l’unité prime la multiplicité parce qu’elle a racine dans l’absolu
  • Au-dessus des personnes règne un « Dieu lui-même personnel… qui propose à chaque personne une relation singulière d’intimité, une participation à sa divinité »
  • Le secret du cœur où se décide, par le choix personnel, cette transmutation de la matière est un domaine inviolable
  • La liberté est constitutive de l’existence créée… Le droit de pécher, c’est-à-dire de refuser son destin, est essentiel au plein exercice  de la liberté. Loin qu’il soit un scandale, ce serait son absence qui aliénerait l’homme
  • Chaque personne est créée à l’image de Dieu, chaque personne est appelée à former un immense corps mystique et charnel dans la Charité du Christ

« puisque la personne n’est pas un objet que l’on sépare et que l’on regarde, mais un centre de réorientation de l’univers objectif, il nous reste à faire tourner l’analyse autour de l’univers édifié par elle…. Chacun n’a sa vérité que relié à tous les autres » p20

Chapitre sur les structures de l’univers personnel

L’homme est un corps au même titre qu’il est esprit

La misère nous accable comme l’abondance

L’homme du confort est l’animal domestique des objets de son confort

L’âge technique, loin d’être une erreur funeste des cantons européens, est peut-être le moyen par lequel l’homme un jour envahira l’univers, y développera son royaume p34

La voie propre de l’homme est cet optimisme tragique où il trouve sa juste mesure dans un climat de grandeur et de lutte p36

Chapitre sur la communication

L’individualisme est un système de mœurs, de sentiments, d’idées et d’institutions qui organise l’individu sur ces attitudes d’isolement et de défense. Il fut l’idéologie et la structure dominante de la société bourgeoise occidentale entre le XVIIIe et le XIXè siècle….la personne ne croît qu’en se purifiant incessamment de l’individu qui est en elle. Elle n’y parvient pas à force d’attention sur soi, mais au contraire en se faisant disponible et par-là plus transparente à elle-même et à autrui. Tout se passe comme si n’étant plus « occupée de soi », « pleine de soi », elle devenait, et alors seulement, capable d’autrui, entrait en grâce.p38

Le premier souci de l’individualisme est de centrer l’individu sur soi, le premier souci du personnalisme est de le décentrer pour l’établir dans les perspectives ouvertes de la personne p39

Etre, c’est aimer p 40

L’acte premier de la personne, c’est de susciter une société de personnes. Société qui se fonde sur une série d’actes originaux : p 42

  • Sortir de soi (se décentrer pour devenir disponible à autrui)
  • Comprendre (pour se situer du point de vue d’autrui)
  • Prendre sur soi, assumer le destin d’autrui
  • Donner (sans mesure et sans espoir de retour).
  • Etre fidèle d’une fidélité créatrice (car le dévouement n’est parfait que dans la continuité)

Chaque personne est inépuisable. Désespérer de quelqu’un, c’est le désespérer

J’aime, donc l’être est, et la vie vaut p43

Le « monde de l’on »  ( selon Heidegger) ne constitue ni un nous, ni un tout. P46

Le personnalisme range parmi ses idées-clefs l’affirmation de l’unité de l’humanité dans l’espace et le temps p49

Chapitre sur la conversion intime

« L’homme du divertissement vit comme expulsé de soi, confondu avec le tumulte extérieur : ainsi l’homme prisonnier de ses appétits, de ses fonctions, de ses habitudes, de ses relations, du monde qui le distrait. Vie immédiate, sans projet, sans maîtrise, ce qui est la définition même de l’extériorité, et sur un registre humain, de la vulgarité. La vie personnelle commence avec la capacité de rompre le contact avec le milieu de se reprendre, de se ressaisir, en vue de se ramasser sur un centre, de s’unifier » p53

D’où la valeur du silence et de la retraite, de la réserve et de la pudeur (« la réserve dans l’expression, la discrétion est l’hommage que la personne rend à son infinité intérieure »)p 55

« s’il est la densité de l’être, l’avoir en est aussi la lourdeur » p59 et plus loin « L’épanouissement de la personne implique comme une condition intérieure une désappropriation de soi et de ses biens qui dépolarise l’égocentrisme. La personne ne se trouve qu’en se perdant. Sa richesse, c’est ce qui lui reste quand elle est dépouillée de tout avoir – ce qui lui reste à l’heure de sa mort » p60

La vie personnelle est la recherche jusqu’à la mort d’une unité pressentie, désirée, et jamais réalisée p60

Il cite Valéry «nous sommes enfermés hors de nous-mêmes »et indique  « le recueillement nous délivre de cette prison des choses » p62

« Il ne faut pas mépriser la vie extérieure : sans elle, la vie intérieure devient folle, aussi bien que sans vie intérieure, elle délire de son côté » p 63

Chapitre sur l’affrontement

La personne fait face, elle est visage, elle lutte, elle se choisit des fidélités qui valent plus que la mort, elle lutte tout en combattant contre l’empire de la force.

« Une société dont les gouvernements, la presse, les élites, ne répandent que le scepticisme, la ruse et la soumission est une société qui se meurt et ne moralise que pour cacher sa pourriture » p 73

Chapitre sur la liberté sous conditions

« C’est la personne qui se fait libre, après avoir choisi d’être libre. Nulle part, elle ne trouve la liberté donnée et constituée. Rien au monde ne l’assure qu’elle est libre si elle n’entre pas audacieusement dans l’exercice de la liberté » p 77

« dans une époque de plus en plus écrasée par ce qu’elle croit être des fatalités, si rongée de souci et d’angoisse qu’elle est prête à livrer sa liberté pour un minimum de sécurité, il n’est pas moins urgent de dénoncer l’esprit de servitude et ses formes larvées » p 82 et plus loin « la liberté ne doit pas faire oublier les libertés. Mais quand les hommes ne rêvent plus de cathédrales, ils ne savent plus faire de belles mansardes…. Les libertés ne sont que des chances offertes à l’esprit de liberté »p83

« L’homme libre est un homme que le monde interroge et qui répond : c’est l’homme responsable » p84

Chapitre sur l’éminente dignité

« La personne n’est pas l’être, elle est mouvement d’être vers l’être »

Sur le bonheur : « la valeur suprême ne peut être la parfaite organisation des valeurs vitales et économiques que l’on désigne généralement sous le nom de bonheur. Les sociétés de ce point de vue les plus heureuses nous laissent entrevoir à quel sommeil spirituel il [le bonheur] peut glisser. » p92

Chapitre sur l’engagement

Les 4 objectifs de l’action : p106

  • Modifier la réalité (le faire)
  • Nous former, former notre unité personnelle dans l’authenticité. « technique et éthique sont les deux pôles de l’inséparable coopération de la présence et de l’opération chez un être qui ne fait qu’en proportion de ce qu’il est et qui n’est qu’en faisant » p108
  • Enrichir notre univers des valeurs. L’action contemplative débouche sur une action de type prophétique
  • Nous rapprocher des autres hommes : la dimension collective de l’action

*

La seconde partie traite du « personnalisme et de la révolution du XXème siècle »

Il traite en particulier du « nihilisme européen » que E Mounier définit par deux crises :

  • une crise spirituelle. « Le règne de la médiocrité satisfaite est sans doute la forme moderne du néant, et peut-être comme le voulait Bernanos, du démoniaque » p116
  • une crise des structures (globalement dans l’économie) p117

Face à ces deux crises, trois attitudes se manifestent :

  • La peur et le repli conservateur
  • L’esprit de catastrophe
  • Affronter, avancer, foncer. La stratégie personnaliste s’appuie là sur quelques règles :
  • Indépendance à l’égard des partis et des groupements constitués afin de prendre une nouvelle mesure des perspectives, mais préférer l’action collective à l’isolement
  • Associer étroitement les valeurs spirituelles aux conditions d’action et à leurs moyens
  • Examiner toute question en liant spirituel et matériel
  • Se garder de tout a priori doctrinaire pour savoir s’adapter
  • Ne pas vouloir une révolution table-rase, mais « révolutionnaire veut dire que le désordre de ce siècle est trop intime et trop obstiné pour être éliminé sans un renversement de vapeur, une révision profonde des valeurs, une réorganisation des structures et un renouvellement des élites » p120

« le primat de l’économique est un désordre historique dont il faut sortir » p 121

E Mounier défend l’apparition d’un socialisme, qui émergera « en plein corps capitaliste » car celui-ci est à bout de souffle et d’invention. Il en liste quelques items :  p121 et 122

  • Abolition de la condition prolétarienne
  • Substitution à l’économie fondée sur le profit d’une économie organisée sur les perspectives totales de la personne
  • Il n’envisage pas l’étatisation de la production
  • Le développement de la vie syndicale
  • La réhabilitation du travail
  • La promotion de la personne ouvrière contre le compromis paternaliste
  • Le primat du travail sur le capital
  • L’abolition des classes formées sur la division du travail ou de la fortune
  • Le primat de la responsabilité personnelle sur l’appareil anonyme
  • Un socialisme rénové, rigoureux et démocratique doit être inventé par l’Europe, sachant que le XXème siècle devra éviter la grande épreuve de la dictature des technocrates

La réflexion sur la Nation se clôt sur le constat de l’internationalisation et « l’apparition d’aires d’influence qui préludent à l’unité mondiale, qui devra se faire tôt ou tard, mais sous trois conditions » :  p 127 et 128

  • Que les nations renoncent à la souveraineté totale au profit, non d’un superimpérialisme mais d’une communauté démocratique des peuples
  • Que l’union se fasse entre les peuples et leurs représentants élus, non entre les gouvernements
  • Que les forces d’impérialisme soient brisées par les peuples unis « le fédéralisme comme utopie directrice est bien une expression personnaliste : mais une utopie directrice ne doit jamais se transformer en utopie actuelle et se masquer le sens que lui font prendre les circonstances, parfois contre son esprit » ( ?)

(extrait de  Esprit novembre 1948)

Le personnalisme :

  • C’est la place faite à l’existence comme surgissement spirituel permanent, sans cesse menacé de retomber dans une aliénation
  • C’est le sens dramatique de l’existence humaine et de ses perspectives
  • C’est le sens de l’incarnation et de l’engagement
  • C’est l’importance attachée au problème de l’autre et de la communication
  • C’est le sens de la transcendance, des niveaux d’existence et de la dynamique de l’Être
  • C’est le nom même de l’humanisme qui inclut notre activité philosophique

« il n’y a de fédération européenne envisageable qu’en vue d’une fédération mondiale »

*

Extrait de « L’Europe contre les hégémonies » Esprit octobre 1938 (après les accords de Munich)

« La force d’un pays ne se mesure plus à sa puissance militaire… mais à son énergie spirituelle, soutenue par l’exact ajustement de ses volontés à ses possibilités matérielles. »

« nous ne voyons, pour nous, le salut de l’Europe que dans la disparition des « grandes puissances », c’est-à-dire des hégémonies, et dans l’émulation, au sein d’une activité de premier ordre [càd sur le plan de l’autorité et de l’influence et non sur le plan de la puissance temporelle], d’une fédération de puissances de second ordre »

Il évoque une « révolution au service de la personne » qui sera :

  • Socialiste, car elle retrouvera dans la tradition primitive du socialisme français de quoi lutter contre le socialisme scientifique, impersonnaliste et de pente dictatoriale de la métaphysique marxiste
  • Nationale, en ce sens qu’elle doit refaire le pays à partir de ses réalités élémentaires
  • Antifasciste, elle intègre la leçon des fascismes sur les faiblesses des démocraties formelles et de l’individualisme juridique
  • Anti-capitaliste, elle ne menace ni l’initiative privée ni la disposition de l’épargne, quand celles-ci ne concourent pas à la formation de puissances abusives et au conservatisme de classe

Comment voit-il la nouvelle puissance française ? en trois éléments :

  • Occidentale
  • Maritime
  • « Africaine : le bloc France-Nord Afrique-A.O .F-A.E.F est un bloc solide, où commence à se dessiner une politique de collaboration indigène dont on lira plus loin l’importance ; si la France sait se montrer, très vite, libérale et intelligente du problème musulman, l’Afrique du  Nord est sauvée « 

en conclusion, il indique   « s’il me faut définir l’axe spirituel de la renaissance européenne, c’est dans ce croisement que je le place sans doute possible [entre les chrétiens et un certain humanisme sans attache confessionnelle qui découvre la solidarité qui le lie au destin du christianisme »

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Patrice Obert

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