La politique de la vertu – de John Milbank et Adrian Pabst : fiche de Christophe Jadeau

La politique de la vertu – de John Milbank et Adrian Pabst : fiche de Christophe Jadeau

Christophe Jadeau est un Poissons Rose. Il nous livre son analyse de la politique de la vertu du Blue Labour, courant du parti travailliste anglais

Ce livre souligne combien, depuis Hobbes, Locke ou même Rousseau, toute l’organisation de la société est basée sur un pessimisme anthropologique fondamental : l’homme (ou l’homme en société) est violent à la base. Dès lors, la déclinaison moderne du contrat social consiste à organiser des marchés pour canaliser la plupart de ces pulsions, et de s’appuyer sur l’État à la fois pour protéger les marchés (vis-à-vis desquels on est excessivement optimistes) et pour empêcher les pulsions qui restent en dehors de la marchandisation.

La préface à l’édition française permet de relier ce constat à ce qui se passe actuellement dans notre pays, et de voir combien le moment « Macron » est en fait l’aboutissement d’un long processus visant à détricoter toutes les traces de lien authentique (jugées sauvages) afin de les faire rentrer dans le cadre de l’échange commercial (jugé civilisé). La fusion progressive de la gauche et de la droite constitue donc bien la naissance d’un nouvel extrémisme qui vient parachever plus de trois siècles de théorisation du contrat social et d’individualisme : poussé à son extrême, cela conduit à une appropriation de tous les champs de la société par le commerce dérégulé et par un État impitoyable envers tout ce qui veut sortir du cadre.

L’exemple des migrants constitue d’ailleurs une bonne illustration de la limite de ce positionnement faussement « centriste » : comme disaient les Inconnus, quand on essaye de concilier « dehors les arabes » et « bienvenue aux immigrés » on arrive à des positionnements absurdes du style « maghrébins, ne partez pas tout de suite ». L’État est coincé entre sa volonté de ne pas accepter des migrations non sollicitées par les marchés économiques et son « ouverture » d’affichage, ce qui conduit à un entre-deux fait de brimades, d’exactions, ni accueil ni renvoi mais torture psychologique. Notre République est en train d’accoucher d’un monstre : Milbank et Pabst nous aident à comprendre pourquoi.

Mais le livre construit également les bases d’une alternative à ce système : aujourd’hui, tous les grands partis (ou ce qu’il en reste) sont fondamentalement dans le même camp, mettant en scène des divergences accessoires pour mieux s’accorder sur l’essentiel. Mais l’alternative est possible : à nous de la construire.

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Chers amis,

Rien de tel que quelques jours de vélo dans la Bourgogne profonde pour se remettre les idées en place…

Il me semble que la réflexion politique doit assumer en même temps le court, le moyen et le long terme : si ce que nous faisons n’a pas de sens à l’aune de l’un de ces trois horizons, alors il faut revoir sa copie. C’est exigeant, mais c’est le seul moyen de sortir de l’immobilisme ou de l’hyperactivité vide de sens…

Le temps long, comme Pabst et Milbank nous aident à le comprendre, c’est celui de plus de 300 ans de libéralisme politique et économique. Ce mouvement de pensée est en phase d’être parachevé en Occident : le rapprochement de la social-démocratie d’une part et de la démocratie libérale ou chrétienne d’autre part est le signe de cet aboutissement, avec une certaine pacification qui permet d’éviter les « diversions » que fournissent les guerres. Depuis des décennies, ces courants politiques se différenciaient à la marge lors des élections pour appliquer le même programme politique dès lors qu’ils étaient confrontés à l’épreuve du pouvoir. Nous sommes désormais passés à une autre phase, celle de la « synthèse » et de la mise en autarcie de tous ceux qui n’y trouvent pas leur place  (Hamon, Corbyn, Sanders…). Désormais, comme les médias dominants nous le rappellent à longueur de journée, « il n’y a pas d’alternative » à cette politique qui ne conçoit pas d’autre interaction humaine que celle des contrats, et qui sape donc un à un toutes les formes de solidarité qui ne sont pas celles de l’assurance privée : comme vous le savez, les camps scouts étaient dans le viseur de cette bureaucratie politique incapable de penser que des enfants puissent être pris en charge en dehors si cadre des agences de voyage… Alors, ce parachèvement marque-t-il la fin de l’histoire ? Je ne le pense pas, parce que, contrairement aux penseurs libéraux, je ne crois pas que l’homme soit si fondamentalement mauvais qu’il faille se contenter de canaliser ses pulsions : je pense au contraire que l’homme est naturellement bon, et qu’il le sait. Je crois donc qu’un jour où l’autre, nos concitoyens refuseront cette vision du monde qui les réduit à un statut d’agents consommant et, pour les plus privilégiés, contractants. Je ne sais pas comment cela va arriver, mais je pense que cela va arriver : c’est paradoxalement au moment où il se débarrasse de ses contradictions internes que le libéralisme fait enfin voir son visage au grand jour, avec tout ce qu’il a l’insupportable pour tous les hommes de bonne volonté. Cette révolte s’exprimera-t-elle dans les urnes, en faisant le choix des extrêmes ? Cela a déjà commencé… Prendra-t-elle une tournure plus violente et plus radicale ? Cela a déjà commencé… La révolte sera-t-elle matée par un État qui glisse doucement vers le totalitarisme ? Cela a déjà commencé… Quelle forme de contestation finira par prendre, changer d’échelle et se cristalliser? Je ne sais pas. Quand ? Je ne sais pas non plus. Mais la réflexion politique de long terme suppose de réfléchir au changement de modèle, car ce changement se fera, avec ou sans nous…

Le moyen terme, c’est, disons, 2022 pour nous autres français. Certains espèrent que les politiques du nouveau gouvernement auront fait leur effet et qu’Emmanuel Macron sera réélu haut la main. C’est une possibilité. Mais si jamais ce n’est pas le cas ? Si jamais les effets ne sont pas ceux qu’on attendait, s’il se font attendre un peu plus longtemps, voire, si les français s’aperçoivent de la supercherie du double discours permanent ? Vers quelles voix porteront-ils leur mécontentement, puisqu’on leur dit qu’il n’y a pas d’amternative ? Mélenchon ? Le Pen ? Voulons-nous vraiment attendre quatre ans pour le découvrir ?

Et puis il y a le temps court, le temps de l’urgence, le temps de ceux qui n’ont pas le privilège de pouvoir penser au temps long. Le temps des agriculteurs qui se suicident parce qu’une politique absurde ne leur laisse plus voir d’espoir. Le temps des migrants, qui ne comprennent pas pourquoi l’Etat les réveille en pleine nuit pour les gazer, leur confisquer leurs affaires par -15°, tandis que les députés votent le raccourcissement des délais (sans améliorer l’efficacité administrative). Le temps des maires de petites communes au bord du burn out parce qu’on leur demande toujours plus avec toujours moins. Le temps des jeunes étudiants qui, après s’être rendus, naïfs et innocents, à leur première manif, se retrouvent nassés par les CRS et traités comme des black blocs parce qu’il faut bien faire du chiffre. Le temps de ces allocataires du RSA qui doivent payer des frais bancaires proches de la centaine d’euros par mois. Le temps des habitants de copropriétés devenues insalubres, où aucun espoir n’est permis. Le temps des prisonniers qui ont l’impression que le système système fait tout pour leur laisser la tête dans l’eau. Le temps des bons élèves, studieux et besogneux mais qui n’ont ni le réseau ni la grande gueule pour devenir des « premiers de cordée », et dont les talents sont gâchés. Le temps des patrons de carrefour market qui ne savent pas ce que leur franchise va devenir, alors qu’ils viennent tout juste de changer d’enseigne. Le temps des retraités pauvres qui découvrent que leur sacrifice sur la CSG vient financer la hausse de pouvoir d’achat des salariés les plus aisés. Le temps des habitants de villages isolés dont la ligne de train va fermer. Le temps des parents célibataires qui n’arrivent pas à faire face. Le temps des aînés, oubliés dans les EPHAD et qu’on ramène toujours au coût qu’ils représentent. Que disons-nous à cette frange de la population au bord de la crise de nerf? Qu’il faut attendre que les « réformes » agissent, parce que lorsque toutes les solidarités auront été privatisées et contractualisées ça se passera mieux pour eux ? Qu’ils seraient bien aimables de souffrir en silence pour ne pas nuire à notre président si beau, si poli, si propre sur lui, et qui en plus sait brosser les cathos dans le sens du poil aux Bernardins ?

Ces trois temporalités me conduisent toutes à l’action, pour dénoncer les injustices d’aujourd’hui, prévenir la tentation totalitaire de demain, proposer une alternative au libéralisme moribond après-demain. 

Nos chances sont peut-être minces. Il est peut-être déjà trop tard : peut-être les fondements de la démocratie sont-ils trop abîmés.

Mais au moins nous aurons essayé, nous ne serons pas restés passifs, et, si une fenêtre s’ouvre pour une alternative non totalitaire au libéralisme, nous saurons apporter notre pierre à l’édifice

Nous ne provoquons pas l’effondrement, nous ne jettons pas d’huile sur le feu, mais le réveil des gens simples paraît inévitable. Nous sommes patients et bienveillants, nous nous préparons à offrir ce que nous pourrons le moment venu. Et s’il ne vient pas, nous n’aurons aucun mal à retourner à d’autres activités : nous ne sommes pas des professionnels, et nous ne sommes pas personnellement asservis à l’activité politique.

Voilà les raisons de mon engagement : effectivement, Macron est bien accessoire, mais en même temps la lucidité sur sa politique s’impose, pour éviter le pire à court, moyen et long terme.

Christophe

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Patrice Obert

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