La liberté nous écoute, pour une écologie humaine – de Pierre-Yves Gomez

La liberté nous écoute, pour une écologie humaine – de Pierre-Yves Gomez

entretien avec Claire Villemain

Edition Quasar

2013

Il s’agit d’un petit livre court (70 pages) organisé en trois chapitres

  • Une société en mouvement
  • Aux captifs la liberté
  • Pour une écologie humaine

 La page de présentation situe ce livre d’entretien. Nous sommes en France, en juin 2013, après  le mouvement inédit de la Manif pour tous qui fait suite au projet de loi Taubira sur « le mariage pour tous ».

 Une société en mouvement

 Pour P-YG, la question du mariage homosexuel a été le détonateur d’un mouvement qu’il assimile davantage à Solidarnosc qu’à Mai 68. « Des gens » ont refusé une idéologie officielle et se sont dressés contre les médias et la culture ambiante d’une façon spontanée, assez peu organisée. A ce titre, l’église catholique s’est trouvée en phase (p18) avec « la société postmoderne, fluide, fondée sur les réseaux, la proximité, sur l’action immédiate, sur la flexibilité et l’engagement personnel ». Par sa facilité à mobiliser, la multiplicité des initiatives personnelles, ses nombreux réseaux, avec, en même temps un « corps doctrinal commun, des références identiques, la force d’une appartenance collective », l’église catholique est finalement davantage en phase avec la société grâce à sa structure atypique.  (Je signale que la sociologie des organisations crédite l’église catholique d’une organisation exceptionnellement peu pyramidale avec seulement trois niveaux hiérarchiques pour une multinationale : le curé, l’évêque, le pape).

Pour P-YG l’échec de la Manif pour tous n’est qu’apparent car, en fait, ce mouvement, fondé sur la bienveillance (il y a eu très peu de désordre) a permis plusieurs prises de conscience : celle du désordre de la société, celle de la détermination des contestataires, celle que « les gens de la vraie vie » sont encore captifs et qu’il nous revient de nous libérer.

Aux captifs la liberté

 Ce chapitre est le cœur de l‘analyse de P-YG.

Que dit-il ?

 L’homme est un être de nature qui vit en société.  « La Nature définit sa condition d’être vivant, de l’autre la société lui permet de réaliser sa condition d‘être humain » (p30). « Tout le génie de l’homme consiste à s’émanciper de la nature, parce qu’elle est contraignante, dangereuse et souvent injuste pour lui (p31) pour construire un « environnement artificiel » qui le conduit à se lier aux autres hommes par des règles et des contrats. Il y a un risque : « plus la société libère l’homme de la nature, plus elle l’enferme dans l’ordre du monde artificiel » (p32). Or notre société, en développant le droit (ce qu’il faut faire pour prendre soin de l’autre) et l’économie (je prends soin de l’autre parce que je suis rétribué), a développé progressivement la vision d’un homme malveillant, qu’il faut de plus en plus encadrer. Ceci explique la multiplication des normes, lois, injonctions de toutes sortes. La société, à force d’établir les règles de la morale publique, finit par faire de l’homme son objet. « C’est le grand rêve de la société moderne : un homme non seulement soigné et protégé, mais amélioré, transformé, réinventé et même radicalement recréé par la société » (p40).

Pour P-YG, il y a un lien direct entre cette vision d’un homme malveillant par nature et le développement d’une société qui, pour le canaliser, l’améliorer, cherche à définir tous les possibles entre lesquels elle lui permettra de choisir. Selon lui, le symbole de la société moderne est l’hypermarché « puisqu’il permet la souveraineté absolue du choix individuel, dont la preuve est un achat » (p28).   D’où vient fondamentalement cette orientation ? « En rejetant le salut par la grâce, la société moderne s’est constituée elle-même comme auteur du salut : c’est le droit ou l’économie qui assure le salut en fixant la Loi commune et en codifiant les règles de bienveillance collective auxquelles nous devons souscrire pour vivre ensemble. La puissance de la morale publique, du politiquement correct, comme on l’appelle, est une conséquence sous-estimée de la sécularisation de l’Occident » (p39). Mais, dit-il, l’homme reste captif des choix potentiels qu’on lui présente comme la garantie de sa liberté.

Comment peut-il s’en libérer ? En substituant à cette bienveillance obligée, artificielle, la bienveillance volontaire, qu’il appelle civilité (p35). « Voici le socle de la liberté : j’affirme mon humanité comme irréductible à toute définition par la société » (p45). « S’affirmer homme et ne jamais s’abaisser en-dessous de la condition d’homme : c’est l’acte politique fondamental. Il établit un droit ferme et opposable à toutes les dérives totalitaires de la société artificielle » (p47). « La bienveillance volontaire, c’est l’affirmation de l’identité humaine » (p47).

Faut-il se passer pour autant de toute règle ? Non, mais la société doit cesser d’être oppressive pour aider l’homme à s’accomplir. Le droit et l’économie doivent venir en appui de cet homme qui a d’abord besoin de confiance pour exprimer volontairement la bienveillance. Il faut, convient-il, « trouver un juste équilibre entre les règles communes indispensables pour vivre ensemble (et limiter la malveillance) et la puissance ordonnatrice de la bienveillance volontaire qui restera première » (p53)

Pour une écologie humaine

 Pour P-YG, l’écologie humaine, c’est « rendre justice à la bienveillance volontaire que se portent les êtres humains et … promouvoir un monde fondé sur cette bienveillance » (p61). Il s’agit de changer de regard et d’insister sur « la banalité du bien », une banalité à mettre en œuvre au quotidien, localement, sur le terrain, un chantier ouvert à tous. « Pas une idée abstraite mais la réalité de la nature humaine telle qu’elle se vit dans la différence des sexes, la compassion pour les plus vulnérables, le respect de la différence, le bonheur de toute naissance, la solidarité entre les générations, la reconnaissance de la faiblesse, de la vieillesse et de la finitude, le goût du travail bien fait, la force de la parole donnée, l’écoute des désirs et le respect de la pudeur, la fierté du combat juste, le sens du bien commun, la participation responsable à la société, la joie d’être de ce monde, la dignité de toute vie »( p69)

Commentaire personnel :

 La subtilité de la pensée de P-YG tient dans l’adjectif qui qualifie la bienveillance. Elle est volontaire, au contraire de la bienveillance artificielle prodiguée par la société.

Subtilité mais aussi, par voie de conséquence, ambiguïté. Car il admet bien évidemment qu’il faille des lois, des règles et des normes. Trop d’injustice ont été et sont encore commises par des personnes qui exploitent autrui, se moquent des règles environnementales, font fi du bien commun quand elles ne se livrent pas à des activités frauduleuses, voire maffieuses. A partir de quand une règle participe-t-elle à la bienveillance artificielle ? Comment définir une règle qui aide l’humain à développer sa bienveillance volontaire ?

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Patrice Obert

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