De la démocratie en Europe – de Sylvie Goulard et Mario Monti

De la démocratie en Europe – de Sylvie Goulard et Mario Monti

Flammarion 2012

L’introduction le dit clairement ( p14)   « il s’agit d’une crise multiforme : une crise de la démocratie en Europe révélant une défaillance conjointe des Etats et de l’Union, qui touchent à la fois à la légitimité des décisions et à l’autorité de ceux qui les prennent et enfin une crise liée aux évolutions de nos sociétés ( nouvelles technologies, mondialisation), dont nos régime politique n’ont guère pris la mesure. »

SG et MM  vont s’appuyer sur les leçons de Tocqueville et de la jeune démocratie américaine pour essayer d’analyser cette crise et d’en tirer quelques enseignements… et propositions. En particulier l’assertion laquelle la recherche de l’égalité mène le cours des démocraties. Dès l’introduction,  ils indiquent que la société a besoin de vertu, (citant Montesquieu)  et que notre temps se complaît « dans une terrible contradiction : vouloir être aussi forts que si l’Europe était unie, mais conserver autant de souveraineté nationale que si elle ne l’était pas ».

*

 lI s analysent ensuite dans un chapitre premier les idées fausses, à savoir que l’Union européenne ne serait pas démocratique et que les Etats seraient exemplaires.

 Les vertus des institutions européennes :

  • Une taille modeste (50 000 agents pour 500 millions d’habitants)
  • Peu de moyens
  • Des autorités indépendantes
  • Une neutralité politique de la Commission qui lui permet d’être  libre vis-à-vis des Etats ( dans un monde peut-être idéal)
  • Des garanties démocratiques réelles :  les commissaires  sont auditionnés par le Parlement, le Parlement peut censurer la Commission
  • La commission  ne peut que mal lutter contre l’inertie des Etats

 A l’inverse la démocratie des Etats n’est pas si parfaite :

  • tyrannie du court terme
  • manque d’anticipation
  • rouille de l’individualisme
  • risques de démagogie

Ils soulignent surtout que les institutions européennes n’ont pas été conçues selon la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) mais  afin de faire prévaloir  l’intérêt général européen sur l’intérêt national

Le second chapitre traite  de la démocratie par le peuple

L’Union européenne repose sur deux sources de légitimité : les Etats et les citoyens (à croiser d’ailleurs avec l’analyse de J Habermas note PO)

Le principe «  un homme, une voix » ne s’applique pas en Europe. Cf page 57 sur le nombre d’eurodéputés par pays (et la note de bas de page  renvoyant aux propositions du député Andrew Duff pour faire élire une partie du parlement sur des listes qui ne seraient plus nationales.)

Les référendums européens sont inégalitaires. Avec l’idée que le vote dans des consultations séparées détruit l’esprit européen.

Absence du choix des « chefs »

Deux propositions  ( p68) : que les eurodéputés puissent intervenir sur le volet « recettes » du budget et qu’il ait aussi le droit d’initiative législative ( actuellement réservé à la Commission). Ils concluent p 71 que l’Europe doit choisir quel système démocratique elle veut pour sortir des ambiguïtés actuelles.

S’ensuit une réflexion sur le peuple européen. L’idée  est que ce sera l’égalité des conditions qui créera ce peuple. Ils font référence à l’analyse de Tommaso Padoa-Schioppa qui distinguait « le peuple de raison » (fondé sur des intérêts) du « peuple du cœur »  le groupe pré-établi). On comprend qu’ils privilégient le peuple de raison destiné à améliorer ensemble nos performances communes.

Le chapitre 3 traite de la démocratie pour le peuple

Ce chapitre concerne en fait les conditions de vie des Européens. Ils s’appuient sur le propos de J Delors «  la compétition qui stimule, la coopération qui renforce, la solidarité qui unit » (p99)

Le contrat social se déchire au détriment de la jeunesse

L’UE a amplifié la concurrence fiscale.

Idée intéressante : la construction européenne s’est faite dans un certain partage des tâches : à l’UE le développement du marché unique au service de la croissance et de l’emploi, aux Etats la protection sociale. Or, ça ne fonctionne pas bien et l’UE est perçue, du coup,  comme anti-sociale.

Notion de référence « l’économie sociale de marché hautement compétitive » §3 de l’art 3 du traité : cet objectif est-il clairement partagé par tous ?

4 unions à réaliser : bancaire/budgétaire/économique/politique

S’intéresser à l’amplification du marché unique, aux eurobonds et aux nouveaux droits sociaux à créer ( pas aux droits acquis)

Le chapitre 4 traite de l’esprit public

L’aspect humain de l’unification européenne a été négligé. Règne l’esprit de négation, les affinités électives entre peuples ne sont pas  favorisés, les symboles ont été écartés

Le chapitre 5 traite du régime politique

Ils soulignent la nécessité  pour les européens de prendre  conscience qu’ils ont à contribuer à un monde meilleur. Ils citent Habermas qui s’interroge « veut-on construire un Etat de plus ou parvenir à « une politique intérieure mondiale » ? Ils évoquent alors 6 sujets qui fâchent :

  1. Le rôle respectif des Etats et de l’Union
  2. Les rôles respectifs du parlement européen et des parlements nationaux (p194)
  3. Europe à 27 et zone euro et s’interrogent sur la  création d’un parlement de la zone euro  (p199 et s)
  4. La juste place du droit
  5. Veto or not veto ( p207 l’idée défendue par Georges Berthoin du « véto responsable »)
  6. L’intégrité de la zone euro

Ils concluent en indiquant que l’Europe doit garder confiance en elle et doit garder le cap de l’unité. Ils soulignent les lignes forces des accords de juin 2012 (supervision des banques, perspectives de croissance, lancer des politiques communes, chantier démocratique)

Ils récapitulent enfin leurs idées en deux pages  p 239 et 240

Commentaire personnel

On voit bien l’axe : il faut démocratiser l’UE,  et la conviction des auteurs. Les références à Tocqueville et à l’exemple américain sont très judicieuses. On trouve beaucoup de bonnes réflexions  soulignées ici

On sort pourtant frustré du livre. Derrière des titres apparemment clairs, les chapitres  (sauf le premier) sont  touffus, brouillons. Leur ligne directrice se perd. On a l’impression de tourner en rond, alors même qu’on lit des notations intéressantes

Qu’en retenir, à titre personnel ?

 Oui, la crise actuelle est autant celle des Etats que celle de l’Union.

Oui l’intégration est déjà très poussée et appelle un saut dans la gouvernance, dans cet art de gouverner. Car l’UE n’est pas un Etat mais un processus d’intégration en cours  (p104). Mais pour cela, il faut redonner de la lisibilité aux citoyens, redonner de la confiance,  en investissant le champ de l’aspect humain et des conditions concrètes de vie, en illustrant cette « économie sociale de marché hautement compétitive », en  redonnant un idéal européen. L’idée de « contribuer à un monde meilleur » est juste sur le fond mais la façon dont elle est  amenée tombe à plat. On voit bien que la démocratisation de l’UE est en même temps la condition  de recréer cette confiance et un objectif à atteindre. Comment s’y prendre, par où commencer ? 

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Patrice Obert

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